Surgir dans un lieu aussi concouru après sept heures à pédaler entre champs et forêts surprend. Cars de touristes, caravanes, couples de marcheurs, cloches qui sonnent, train qui sifflent, terrasses bondées. Je m’y attendais, j’ai donc situé les deux campings où piquer ma tente: le premier refuse l’hébergement pour une seule nuit (justification: l’épidémie), l’autre est complet. A l’Office du tourisme, on me gronde: je ne porte pas de masque. Disent ces filles en costume traditionnel occupées à pianoter sur leurs claviers. Elles me conseillent l’auberge de jeunesse. Quoi encore? Elle occupe le premier étage de la Hauptbanhof, au-dessus du McDonald’s! Dans une maison perchée sur le château, Weinfeldweg (huitante marches d’accès), je trouve Madame Grüber, 96 ans, qui me loge dans une chambre de bonne du siècle passé : lit-coffre, armoire gothique, lustre en toile de papier, douche aménagée dans la cave. Elle demande: “En Russie? Pourquoi allez là-bas? Wollen Sie der Putin treffen?”. Lavabo de faïence jaunie, robinet de fer, miroir de 1970. Belle vue sur des chalets fleuris de rouge. Je sors boire, j’avale une platée de légumes, dors profondément. La matin, la vielle dame me sert le déjeuner sur la terrasse, les cloches recommence de sonner, les touristes vont dans la ville, occupent les terrasses, photographient. Dans les faubourgs, sur la route de Hallein, je fais halte dans un magasin de sport qui brade ses articles à 50%, achète une paire de chaussures, jette l’ancienne paire (depuis le départ les crocs des pédales me meurtrissent la chair). Dix kilomètres plus loin, je vois qu’à chaque pied une partie des boucles de lacets sont arrachées.