Réveillé par le concierge. Il pelle la neige dans la cour. Au soir, je me suis endormi la décision prise : je monterai les 1767 mètres qui me séparent de Krebsbrücke, puis je rejoindrais la frontière slovène. Les précipitations de la nuit changent mes plans. Si j’ai encore une hésitation, les images que diffusent la webcam de l’hôtel dans la salle du petit-déjeuner y mettent fin : sur le col sévit une tempête. La serveuse apporte trois œufs au plat persillés dans un poêle, je me sers de viande crue, de fromage au raifort, de paprika jaune, de miel et de concombres, puis consulte les horaires du train. Le direct pour Salzbourg passe par Radstadt dans vingt minutes. Je cours, j’harnache, je règle la note (la carte de crédit foire, je lisse des billets détrempés), j’atteins le quai ; une nonne joue avec des enfants à « qui bouge-perd ». Le convoi de Graz approche, nous montons. A Salzbourg, la nonne me recommande à Dieu. La neige a cessé, il pleut. Jeudi il faisait 24 degrés, il en fait 4. Je veux acheter un bonnet. Les boutiques de la gare sont orientales, elles vendent des voiles, des pyjamas et des masques. J’entre chez un coiffeur turc. Il m’installe à l’étage. Le vélo est sur le trottoir, fermé, au milieu d’une faune de vendeurs de drogue. Le Turc, jeune attaque à la tondeuse. Il me travaille comme un mouton. Je crains le pire, prévois un rasage complet pour rattraper les dégâts quand il extrait une pâte rose chewing-gum d’un pot, la tartine sur mon nez. Sors un briquet de sa poche, me brûle la broussaille des oreilles. « La pâte ? ». Il l’arrache d’un coup sec : traitement des poils baladeurs. A la station-service, j’achète une canette de Grösser, puis me range sous le tunnel et profite du réseau wi-fi pour envoyer quelques images en Suisse. Demi-heure plus tard, le régional pour Vallach démarre. Etrange Autriche. Des villages noyés dans les vallées, des montagnes qui sont des tas de pierres et grimpent jusqu’au ciel, et partout des sapins. Ils hérissent les pentes, mêle à l’ombre froide qui règne dans les fonds une verdeur lugubre. Enfin les rivières. Jamais vu déferler tant d’eau. Malgré les barrages, rien ne peut stopper son cours. Par des tunnels, nous passons d’une vallée à l’autre. Quand le train s’arrête, les passagers se hâtent. Ils font bien, à peine freinée, le convoi s’ébranle. L’une des arrêts, que je mesure, ne dépasse pas la minute. A Villach, je fais les frais de cette rigueur. 4 minutes pour changer de quai et monter dans la correspondance. Je porte le vélo dans les escaliers, cherche le wagon réservé. Un employé : « c’est à l’autre bout ». Un autre : « plus loin ». Un troisième : « contre la locomotive ». Je suis encore sur le marchepied quand le R635 pour Venise commence à rouler. Il est vide. Deux hollandais cyclistes me disent : « nous sommes les seuls fous à traverser les frontières. » A Udine, je les quitte. Prochaine étape, Trieste.