Dans la loterie générale, il serait heureux que succombent quelques néfastes aux discours lénifiants, au hasard le pape.
Mois : février 2020
Littérature
Parler dans le vide est la tâche de l’écrivain. A part lui, personne n’est assez fou pour se prêter à ce jeu. Quand le vide se remplit d’oreilles, mauvais signe. Les censeurs du roi, ayant lu Kant (la Première critique), rassurèrent: “cela n’aura aucun effet, nul n’y peut rien comprendre”.
Oskar
Qui est le nom du marchand de poisson, en réalité l’épicier des villages, acheminant à bord d’une camionnete et de sa caravane, chaque mercredi, une cargaison de nourriture, de la farine aux tomates, en passant par le lait, le chorizo et la lessive. Or, nous sommes mercredi. Il klaxonne. Je dors. Arrivé à domicile hier, j’aimerais éviter de descendre en plaine. Je dois me fournir. Mais je sais qu’il y a préséance. La doyenne d’abord, Alicia, 93 ans. Puis Marie-Luz, Marie-Cruz et Pilar. Je bois le café, je me rase, je passe un équipement militaire (c’est ce qu’il y a). Et descend sur la place. Les voisines me saluent, on s’embrasse. Nous causons. Deux mots sur ma provenance, mes parages et je renvoie la politesse:
-Et vous, comment ça va?
Maria Dolores: “Nous sommes exactement là où tu nous a laissées!”
Réflexes
Le corps proche de l’horloge biologique, je me lève d’habitude spontanément quelques minutes avant l’obligation du réveil, mais dans ce cas, veille de départ pour l’aéroport de Málaga, je rêvais comme souvent d’un des squats de ma vie antérieure, installé sur un banc avec mon amie Rika, dans la salle des pas perdus de l’université Bastions, à Genève, et nous partions soudain pour la chambre, ma chambre, où, naturellement, je l’invitais à passer la nuit, trouvant le rez de la villa noyé sous un mètre d’eau glauque; protégeant Rika, je marchais dans le cloaque pour atteindre un escalier mou qui donnait sur l’étage premier et mon appartement. De la dernière marche, je constatai que l’escalier était détaché de la paroi. Téméraire, je saute. Me voici dans le salon.
-Merde! Ils ont détruit tout mon intérieur!
Rika, en bas:
-Est-ce que ça va?
Je ne peux lui répondre car il y a, dans le canapé, vautré, agressif, A., mon voisin, un pouilleux à catogan. Qui se dresse:
-Passe les clefs, c’est à moi maintenant cette turne!
Il articule deux canifs, façon Shaolin, veut me trancher la gorge.
Effrayé, je recule. Recule encore. Et calcule mon coup. Aux parties, à l’estomac? Si je rate mon but, j’aurai le cou tranché.
Je tape.
Gala encaisse le coup.
Je m’excuse. Elle frotte sa jambe endolorie.
C’est l’heure. Nous partons pour l’aéroport de Malaga.
Prix
A l’instant, j’apprends que mon livre TM a obtenu le prix Pittard de l’Andelyn, m’écrit l’éditeur. Je lui réponds aussitôt et tape des messages sur le clavier du téléphone. Le premier: “tu plaisantes?”. Il m’assure que “non”. “Bien”, lui dis-je une serpillière à la main, car la chaudière qui vient de lâcher rend des litres d’eau — ils menacent ma chambre. Tout en récurant, je poursuis le dialogue. “Si tu peux providentiellement être présent à cette date, écrit l’éditeur, soit le 4 mai, soirée de remise du prix?” J’empoigne mes bidons de fioul, 20 litres, encore 20 litres, et le dernier, difficile à soulever dans un local de la taille d’une armoire envahi de vélos, 30 litres, et verse dans l’entonnoir géant, mais non, la machinerie ne redémarre pas. Tout en expliquant à l’éditeur qui me demande quelle musique je souhaiterais pour la lecture des extraits du texte (de la techno abstraite ou une messe pour orgue), j’appelle les frères Jésus, plombiers attitrés des familles au village, et me trompe de numéro, entend un vieillard décliner son nom, auprès de qui je m’excuse, et recompose, me trompe encore — cette fois c’est le livreur de fioul — enfin je joins le plombier qui dit: “Alejandro, je suis là, à côté, j’arrive!”. Le temps de finir les pompes quotidiennes ( manquaient 30 pour clore la série nocturne), Jésus frappe à la porte. Excité, rapide, convaincu, il se précipite dans l’escalier, dégonde la porte du local, me la passe, “prend ça…”. Fait glisser le seau rempli de flotte, la glacière, un cadre de vélo et le sommier de Luv, puis enfile la tête dans la chaudière:
-Une torche?
Je monte, je redescends. Il éclaire.
-Un sèche-cheveux?
Que je trouve. Pour la rallonge électrique, c’est plus compliqué (un simple rouleau de chantier connecte mes cinq ordinateurs).
-Laisse, on va débrancher la chaudière… là.
Jésus enclenche le sèche-cheveux, renonce.
-Tant pis, je vais purger. Le problème tu vois, c’est que tu as de l’air dans les gosiers.
-J’ai été loin dix semaines.
-Quoi? Mais enfin, il ne faut jamais quitter le village! Tu fais quoi?
-Je travaille.
-Mmh.
-Voilà… si on a un peu de chance…
Juste après le redémarrage, j’écris à l’éditeur, “je prends le billet d’avion, aller-retour Málaga-Genève, j’atterris l’après-midi du 4, je reçois le prix, je repars le matin, tu confirmes?”.
Amélie
Fascinant set DJ d’Amélie Lens (Live in the tunnel ou encore Atomium for The Cercle). Que ce soit dans une boîte à néon ou devant trois mille fans, la mécanique ronfle. Ce que je voudrais, c’est l’interrompre et lui demander: “comment faites-vous cela?”. Car le dispositif, ses boutons, sa plateforme et ses couvercles ne trahit rien du secret de fabrique. Il est vrai que si je sais plus ou moins comment j’ai écrit H+, je serais incapable de me prononcer pour Constance — guide touristique à l’usage des aveugles.