L’image est lente — l’image dynamique, veux-je dire. D’autant plus lente à traduire du sens qu’elle est mécaniquement rapide. Un tableau de Piero dela Francesca (quand bien même le contemplateur ne saurait rien de l’iconographie chrétienne) porte plus de sens qu’une brève séquence de film narrant cinquante événements. C’est donc la poésie, en tant que développement par le sujet du sens enfoui dans l’objet, qui fait le sens. De ce point de vue, le travail de mise en forme ludique du monde par le système américain des images est une tentative désespérée (et destructrice, et autodestructrice, qui donc finira par disparaître) d’intéresser le spectateur à un objet que la vitesse a vidé de sons sens.
Mois : octobre 2019
Meurtres en série
Merveilleuse rhétorique des masochistes convertie en idéologie du déni: des terroristes tuent au couteau, au fusil mitrailleur, à la machette, au tournevis, au pic à brochettes, mais “la piste du terrorisme est exclue”: au mieux, il s’agit de fous (soit des énergumènes criminels rapatriés par les gouvernements sur notre territoire), au pire de personnes “inconnues des services” ( des sans-étiquette). A quand la défenestration des élus?
Noir
La semaine dernière, à Fribourg, nuit de grand excès. Au point que je me demandais, ne recevant pas, sur la descente, en matinée, en début d’après midi, d’appel téléphonique des personnes présentes, ce que j’avais bien pu faire, dire, redoutant à mesure que passait les heures le pire, songeant: “non, non, je ne suis pas comme ça”, questionnant inquiet : “encore que?”.
Toit 2
La maison que j’habite, maison de pauvre, autrefois grange, abri pour animaux, rapiécée par des gens nourris d’espoir et d’habiletés (précisons, habiletés illusoires, cette richesse du pauvre) fuit par le toit, poudroie par les murs, inonde par le fond. Les ouvriers du village découvrent le toit. Empilent les tuiles. Elles seront jetées. Autrefois, il y avait de la planche. Pour le carénage. Elle y est toujours. Mais les pauvres ont pratiqué leur art: coucher par l’extérieur, sur la planche, une forte épaisseur de mortier. Forte, en terme de poids — ceci afin que l’on voie la difficulté dont je parle — signifie : six ou sept tonnes d’un mélange grossier de sable et de ciment. Qui, dans le meilleur silence, lorsque le ciel est immobile, me coule sur les épaules. Intempestif. Une pierre tombe. Une autre. Encore une. Ou une poignée de sable. Si je regarde un film, si je lis, je me lève, je ramasse. Lorsque je dors, j’entends, je me rendors. Le matin, balayette en main, je fais des tas. Et me fatigue. Car le labeur est continu. D’où l’idée de recouvrir le toit de neuf. Seulement voilà, impossible de casser la couche de mortier. Il faudrait sortir les meubles et quatre mille livres. Une déménagement universel. J’aurai donc, dans quelques jours, un toit neuf qui continuera de m’envoyer des pierres sur la tête.
Cullinan Billionaire
Au volant de la Rolls, Monfrère. Dans un virage, je glisse du siège passager. Cherchant à me relever, je crains de toucher les pédales, de provoquer un accident. La limousine traverse New-York, frôle un motard à l’arrêt, un poteau. Je comptabilise les griffures, conjecture les frais. Nous repartons. Un camion de la voirie s’engage à droite. Monfrère le suit. Le camion bifurque.
-Attention au mur!
La Rolls plante dans l’impasse. A gauche, à droite, un parc. C’est la pause de midi. Les New-Yorkais déambulent, boivent le café et bavardent. Un homme en costume approche. Je lis sur ses lèvres. Il me semble… oui, on dirait:
-Il parle français!
-En effet, dit-il, je suis l’ambassadeur, laissez-moi vous aider. Vous êtes dans une mauvaise situation. En l’état, vous ne pouvez ni reculer ni traverser le parc. Le dernier qui a essayé a reçu une amende de 27’000 $. Mais vous avez de la chance, la ministre de l’Intérieur est mon amie. Je l’appelle! Ne bougez pas.
“Margret…?”.