Mois : octobre 2019

Chaud

Plongé dans l’his­toire de la notion de “pro­grès”, je rajoute un buche dans le poêle, une autre, puis passe un deux­ième pull. Trop tard. J’ai pris froid. Je sors dans la rue. Tem­péra­ture moyenne. Véri­fie le ther­momètre intérieur: tem­péra­ture moyenne. Me revient alors que tou­jours j’ai eu froid quand je réfléchis­sais, moi qui en temps nor­mal me promène à moitié désha­bil­lé. Sur ce, je con­sulte la météo. Il va pleu­voir. C’est l’au­tomne, bien­tôt l’hiv­er. Le moment est venu d’al­lumer la chaudière. Coincé au fond du cagibi, elle est vieille, cabossée, tirée d’une décharge. Et il me sou­vient qu’elle dis­tribue l’eau chaude selon son beau plaisir, ou ne la dis­tribue pas. J’ap­pelle Jésus. Il rap­plique. La met en route.
-Désolé, le réser­voir a explosé.
Le voilà qu’il repart en plaine avec sous le bras un récip­i­ent rouge de la taille d’une côte de bœuf.

Franco

Déter­rer le dic­ta­teur ! Piètre revanche des vain­cus qui du bout des doigts, pro­tégés absol­u­ment, écar­tent le rideau de l’His­toire et à voix haute cri­ent Vérité en direc­tion d’un mort.

Conservation et progrès

Le nou­veau sur­git tou­jours pris dans les rets de l’ancien.

Francis Wolff

“On est ébahi en décou­vrant, dans une com­mu­ni­ca­tion ani­male, plusieurs cen­taines de mes­sages pos­si­bles. Mais dans le lan­gage humain, ce ne sont pas plusieurs cen­taines, c’est tou­jours une infinité! Pour pren­dre un exem­ple sim­ple, la phrase que je suis en train de pronon­cer ne l’a peut-être jamais été par qui que ce soit, et elle est com­préhen­si­ble pour tout le monde. De même, tout le monde peut inven­ter à chaque instant une phrase qui n’a jamais été dite et qui sera com­préhen­si­ble. Ce pou­voir d’in­ven­tiv­ité infinie est spé­ci­fique à l’homme.”

Attaches

Les familles sont faites pour être lour­des. Elle ancrent au sol.

Guerre

Le gou­verne­ment de France par­le désor­mais de risque de “guerre civile”. Ce faisant, il fait le jeu de l’en­ne­mi. Que je sache, la guerre d’Al­gérie n’avait rien de civil.

Daugthers

Con­cert dans une dis­cothèque proche de la Gran Vía de Madrid. Depuis longtemps, ce que j’ai vu et enten­du de mieux en rock indus­triel. Enten­du comme je pou­vais, un doigt sur l’or­eille gauche, celle qui a explosé voilà main­tenant onze ans au con­cert de Killing Joke.

Déserts 5

Con­trée de pinèdes et de prés, de pierre sèche et de sources (dont la nais­sance du Tage), mag­nifiques Ser­ranías de Cuen­ca. Et ce vil­lage que j’avais aimé entre tous lors de mon dernier pas­sage, Lagu­nas del Mar­que­sa­do. Un lieu impres­sion­niste. Dans l’eau semée de feuilles rouges se reflète le ciel, un chemin de terre amène aux maisons. Pre­mière épicerie à soix­ante kilomètres.

Déserts 4

L’é­tape la plus longue, de Alia­ga à Albar­racín, en pas­sant par Bron­chales, demi-ville con­stru­ite à 1700 mètres. L’as­cen­sion se fait sur une route large, tout entière à notre dis­po­si­tion, mais il fait chaud et l’ou­ver­ture des paysages apporte du vent, à l’oc­ca­sion les cadres flot­tent. Après 126 kilo­mètres d’ef­fort, un tra­cas hôte­lier. Nous quit­tons la cham­bre réservée, le pro­prié­taire refu­sant d’en­tre­pos­er les vélos. A l’aide du télé­phone, je réserve plus loin. Un appel, c’est la pro­prié­taire: elle s’est trompée, l’ap­parte­ment n’est pas disponible. Or, ce week-end les Arag­o­nais fêtent la Vierge del Pilar, tout est plein. Nous aboutis­sons dans un dor­toir grée par une Russe, toi­lettes à l’é­tage, douch­es partagées. Qui par trois fois nous fait répéter:
-Vous voulez louer tout le dor­toir?
-Oui.
-Mais il ya cinq lit!
-Les cinq, pour êtres seuls.
Elle fait l’ad­di­tion lit par lit, présente sa fac­ture, compte les bil­lets, recompte.

Déserts 3

Vaste salle à manger rus­tique à Alia­ga, dans une ferme qui rap­pelle les posadas des con­tes picaresques. Le repas pour­rait être d’époque:  brasero de mou­ton, soupe à l’ail dans un bol de terre cuite, vin rouge et crème brûlée. Le vil­lage d’Alia­ga est au fond d’une gorge. Une rue, des immeubles fran­quistes à l’ap­proche, des bâtiss­es en colom­bages dans le cœur. Une église affublée d’un por­tail peint en turquoise. Grosse, sur­di­men­sion­née. Comme si cet endroit reculé avait, plus qu’au­cun, besoin de Dieu. Juste der­rière, un ruis­seau et des potagers. Sur le flanc de colline, un chemin de croix. Du bout du doigt, je par­cours le zig-zag. Quinze croix. Pourquoi? Plus une, de métal, entre pierre et ciel. En face, un pont de pierre qui donne sur une haute falaise. Un pan­neau indique la deirec­tion de Pitar­que. A en juger par le décor, un nid d’alti­tude. Nous avions prévu cette ral­longe d’é­tape. Une boucle de 36 kilo­mètres dans la pierre. Mon voisin au vil­lage d’A­grabuey, ingénieur des mines, m’a van­té l’ex­cur­sion. Réserve oblige, nous renonçons. Demain nous attend l’é­tape la plus longue. Pro­gramme de la soirée, boire de la bière, grig­not­er des chips et du Manchego. Hors-pro­gramme, un som­meil épou­vantable. Mus­cu­laire. Cela m’ar­rive chaque fois au début des cir­cuits: le corps peine à s’habituer. Au lieu de s’a­pais­er, il décon­tracte lente­ment pen­dant la nuit, si lente­ment qu’il est impos­si­ble de dormir.