La surface de champs que nous avons devant nous, pour donner une échelle, ressemble à la vue que l’on a sur le lac Léman un jour où l’on voit Villeneuve depuis les hauts de Lausanne. Et ce n’est que terre rouge et jaune, pierraille, sillons et tumulus (les cailloux retirés des profondeurs). Quant à la route, elle soupe au cordeau. Elle est droite. Quinze kilomètres de bitume silencieux, puis un virage et encore dix kilomètres. Ensuite des collines, puis en roue libre à travers l’immensité avec un pointe de vitesse à 55km/h. Sauf que le soir, l’hôtel que j’ai choisi (le seul disponible) est dans un hameau. Le propriétaire nous ouvre, nous installe. Il est pêcheur. Il parle de truites. Montre le bassin qu’il a maçonné dans la réception.
“Mais ça ne va pas, elles s’échappent”.
Les vélos rangés, il indique le bar.
-Ici.
Nous regardons une porte. Voyant notre peu de motivation à rentrer dans ce local éteint, il ajoute:
-Ou de l’autre côté de la rue.
Nous traversons, nous rentrons dans une pièce sombre où sont quatre anciens, bérets vissés, appui sur cannes. Eparpillés le long du comptoir des quenouilles d’oignons, des tasses sales, des patates terreuses, des sacs. Contre le mur, un coffre à boissons “ne pas se servir seul”.
-Elle va arriver, dit l’un des hommes.
Devant eux, ni jeu de cartes ni boissons. Sans tenir de conversation, ils parlent au hasard. Monfrère m’attend dans la cou — il faudrait dire basse-cour s’il ne manquait les animaux car pour les épluchures, les bassines, le grain répandu et les chiures, tout y est.
-Oui, allez à l’extérieur, elle arrivera de la rue.
Mais non, “elle“ne vient pas. Alors, nous retournons à notre “hostal”. Le propriétaire fait de la lumière dans la bar, apporte deux petites bouteilles de Estrella Galicia. Puis nous trouvons la solution. Peut-il nous conduire au village voisin, celui où nous avons dîner à la mi-journée? Alfambra, un bourg ingrat, à demi-écroulé, un bourg de l’Espagne vide vers lequel les gouvernements successifs s’efforcent de déplacer les immigrés à coups d’allocations. Le propriétaire nous dépose. Il nous reprendra à sept heures tapante car après il cuisine pour les couvriers de la mine. A peine la camionnette reparti, nous voyons que le bar est fermé. La suite st plus heureuse: pêcheur, femme de ménage, chauffeur, tenancier, comptable, solitaire, le propriétaire de l’hôtel est aussi bon cuisinier.