Déserts 2

La sur­face de champs que nous avons devant nous, pour don­ner une échelle, ressem­ble à la vue que l’on a sur le lac Léman un jour où l’on voit Vil­leneuve depuis les hauts de Lau­sanne. Et ce n’est que terre rouge et jaune, pier­raille, sil­lons et tumu­lus (les cail­loux retirés des pro­fondeurs). Quant à la route, elle soupe au cordeau. Elle est droite. Quinze kilo­mètres de bitume silen­cieux, puis un virage et encore dix kilo­mètres. Ensuite des collines, puis en roue libre à tra­vers l’im­men­sité avec un pointe de vitesse à 55km/h. Sauf que le soir, l’hô­tel que j’ai choisi (le seul disponible) est dans un hameau. Le pro­prié­taire nous ouvre, nous installe. Il est pêcheur. Il par­le de tru­ites. Mon­tre le bassin qu’il a maçon­né dans la récep­tion.
“Mais ça ne va pas, elles s’échap­pent”.
Les vélos rangés, il indique le bar.
-Ici.
Nous regar­dons une porte. Voy­ant notre peu de moti­va­tion à ren­tr­er dans ce local éteint, il ajoute:
-Ou de l’autre côté de la rue.
Nous tra­ver­sons, nous ren­trons dans une pièce som­bre où sont qua­tre anciens, bérets vis­sés, appui sur cannes. Eparpil­lés le long du comp­toir des que­nouilles d’oignons, des tass­es sales, des patates ter­reuses, des sacs. Con­tre le mur, un cof­fre à bois­sons “ne pas se servir seul”.
-Elle va arriv­er, dit l’un des hommes.
Devant eux, ni jeu de cartes ni bois­sons. Sans tenir de con­ver­sa­tion, ils par­lent au hasard. Mon­frère m’at­tend dans la cou — il faudrait dire basse-cour s’il ne man­quait les ani­maux car pour les épluchures, les bassines, le grain répan­du et les chi­ures, tout y est.
-Oui, allez à l’ex­térieur, elle arrivera de la rue.
Mais non, “elle“ne vient pas. Alors, nous retournons à notre “hostal”. Le pro­prié­taire fait de la lumière dans la bar, apporte deux petites bouteilles de Estrel­la Gali­cia. Puis nous trou­vons la solu­tion. Peut-il nous con­duire au vil­lage voisin, celui où nous avons dîn­er à la mi-journée? Alfam­bra, un bourg ingrat, à demi-écroulé, un bourg de l’Es­pagne vide vers lequel les gou­verne­ments suc­ces­sifs s’ef­for­cent de déplac­er les immi­grés à coups d’al­lo­ca­tions. Le pro­prié­taire nous dépose. Il nous repren­dra à sept heures tapante car après il cui­sine pour les cou­vri­ers de la mine. A peine la camion­nette repar­ti, nous voyons que le bar est fer­mé. La suite st plus heureuse: pêcheur, femme de ménage, chauf­feur, ten­ancier, compt­able, soli­taire, le pro­prié­taire de l’hô­tel est aus­si bon cuisinier.