Mois : juillet 2019

Travail

Chaque jour l’im­pôt est moins jus­ti­fi­able. Les man­i­fes­ta­tions de gilets jaunes français ne sont que l’a­vant-goût de l’ex­as­péra­tion qui gagne ce qu’il reste de peu­ple au tra­vail. Comme tant de fois dans l’his­toire antécé­dente, l’ar­gent échappe des mains des laborieux pour ali­menter une hiérar­chie abu­sive et sa clien­tèle d’assistés.

Continuum

De grandes per­si­ennes qui se trans­for­maient en tapis, en cou­ver­tures, mon­taient au nez, se pro­longeaient en barbes, finis­saient en descente de lit.

Apprendre à lire

Con­va­in­cu que la lec­ture est l’ex­péri­ence per­son­nelle par excel­lence. Qu’elle seule est capa­ble de sol­liciter l’en­tière richesse de notre psy­cholo­gie, har­monis­er idée et action, trac­er une voie orig­i­nale et heureuse. Ain­si, je me lamente de l’ef­frayant change­ment de par­a­digme qui plonge la généra­tion nou­velle dans le bain des images. Quand com­pren­dra-t-elle que le monde lui est refusé? Qu’elle n’ap­préhende qu’un univers de fab­rique où l’on se meut selon un scé­nario pré­conçu, de ce fait aus­si sta­tis­tique et prévis­i­ble comme le sont fatale­ment les approches collectives?

Catherine

Mécan­ismes insond­ables du rêve, hier, après tente-huit ans, m’ap­pa­raît Cather­ine, que je prends pas la main, que j’embrasse. Jamais plus je n’avais songé à cette cama­rade de classe.

Remplacement

L’ap­pren­tis­sage pro­fond des I.A. qui con­duiront nos futurs véhicules autonomes nous vaut ces jours de rem­plir des Captchas qui mon­trent des car­refours mar­qués de feux et de pas­sages piétons.

Tous les jours

Com­mencé d’écrire Le roi de Suisse, une farce. La tem­péra­ture con­tin­ue d’aug­menter. Mar­di, il fera quar­ante degrés. Les coqs chantent la nuit, l’oie s’agite der­rière la haie. Ces ani­maux, qui sont juste là, sont invis­i­bles. Impos­si­ble de se pencher, la haie est trop haute. Impos­si­ble de plonger la tête, la végé­ta­tion est dense. Quant à la porte du domaine, elle est de fer, sans trouées. Gala annonce qu’elle ira son­ner. Lorsque j’ai marché sur les berges de la riv­ière, j’ai dérangé un trou­peau de chèvres. Lui aus­si appar­tient au pro­prié­taire du domaine. Après le pre­mier orage, je com­mencerai la tra­duc­tion de mon essai à l’espagnol.

Parc

Il y a sur le bord de la riv­ière, un parc alan­gui et chaud, entretenu et désor­don­né, rem­pli de toutes les espèces d’ar­bres. Nous y allons en voiture, car entre notre corps de ferme et le parc, passe une route. Sur le park­ing du ter­rain de foot, près de la borne d’eau gazeuse munic­i­pale, je décharge le vélo de Gala. Elle s’en va, je pars à la course. Sen­tiers et voies de bitumes per­me­t­tent de se fau­fil­er sous la frondai­son. Moi qui ne sait rien de l’I­tal­ie, je dirais qu’il n’y a pas plus ital­ien que ce parc. L’a­ban­don est pal­pa­ble, mais c’est à la nature que les hommes ont aban­don­né le parc, et il y règne une tran­quille sauvagerie. D’ailleurs, les gens sont sur­pris. Ils n’ont pas tort; en marchant à tra­vers les aplats d’herbes, les buis­sons, le bran­chage, on a l’im­pres­sion que l’on trace une voie. Qu’un autre promeneur suive la même voie est donc une sur­prise. En réal­ité, on a sous les pieds un chemin, mais si peu dess­iné, si divaguant, que l’on croirait le créer au rythme de son avancée. A petits foulées, je cours trois quart d’heure, répé­tant une boucle, tan­tôt sous les soles pleureurs, tan­tôt le long des aires de jeux. Dans un coin reculé, j’aperçois le vélo de Gala. Elle cueille des ceris­es et des prunes. De retour à la voiture où nous avons pris ren­dez-vous afin d’aller chercher notre vin avant la nuit, je ne vois pas Gala. En revanche, une femme me regarde. Je fais de même. Puis con­tin­ue mes exer­ci­ces d’as­sou­plisse­ment. Souf­fle et passe devant elle. M’en vais. Elle vient dans ma direc­tion. Je la salue. Elle répond. C’est une invitation.

H‑M

Après six jours d’un tra­vail de cor­rec­tion de l’es­sai Hom­mema­chine, je m’assieds sur notre ter­rasse de Gal­luz­zo et me décou­vre silen­cieux, inqui­et, angois­sé. Gala par­le, je ne suis pas. Elle sert, je mange à peine. Elle verse du vin, je bois de l’eau. J’ig­nore si les prochains lecteurs de cet exposé sur la clô­ture sociale par le neu­ro­mar­ket­ing, le libéral­isme dévoyé et la robo­t­ique fer­ont la même expéri­ence, mais pour moi, je suis assom­mé. Sur trois chapitres, les raison­nements sont boulon­nés. Vio­lente la charge. Et quand on réécrit, impos­si­ble de nég­liger un pas­sage, de papil­lon­ner, il faut se pénétr­er de cha­cun des argu­ments, les soupeser, au besoin les ren­forcer. D’où cette étrange intox­i­ca­tion. Quelque six mois après la pre­mière rédac­tion du texte, je le lis sans pou­voir me dépar­tir du sen­ti­ment qu’il dit vrai. Or, ses thès­es étant les miennes, c’est dire avec quelle puis­sance elles empor­tent mon adhé­sion. Avec pour effet para­dox­al la con­fir­ma­tion objec­tive de mes pires attentes.

Déclaration

Celui qui déclare de son inter­locu­teur “c’est une affreux bon­homme!” amène l’en­tourage à se pos­er la ques­tion “est-ce ou n’est-ce pas un affreux bon­homme?”. Il faut un cer­tain esprit de finesse pour se deman­der si l’af­freux bon­homme n’est pas celui qui déclare.

Camp du bien

Cher amis, depuis quelques jours des robots de la multi­na­tionale scan­nent ces pages de notes. Ils vien­nent de me délivr­er un aver­tisse­ment pour opin­ions non-con­formes “sur la plainte de cer­taines per­son­nes”. En cas de fer­me­ture, j’indi­querai par une voie ou une autre mon par­age d’immigré.