A peine quitté les faubourgs de Lom Sak, la camionnette fait demi-tour et s’engage dans une allée de terre. Le chauffeur me tend son téléphone. Traduit du thaï : “nous avons un problème, il faut changer les roues.” Installé sur un banc de mortier peint je décapsule un Esta-cola et prend la mesure de l’endroit où nous avons fait arrêt. Derrière moi, un homme fait un jeu électronique dans une pièce qui contient un lit d’enfant à barreaux, un hamac, des éléphants en plâtre, deux pupitres pour faire école, une armoire frigorifique et quelques chiens. Au-dessus, sans clients ni serveurs ni personne, le Micro-café, salle de bambous aux couleurs chaudes, avec percolateur et stores jaunes. Sur la droite, les garagistes s’affairent. Ils changent en effet les roues, mais on croirait une scène arrangée. Car ils manient le cric au pied d’une façade où l’on voit plus de cent jantes brillant comme un étalage de montres. Là-dessus déboule un adolescent à bort d’une Mazda customisée. Jaune, plate, elle ressemble à un Petit-beurre. La tôle du capot est découpée, le moteur tremble à l’air libre. Tous se penchent sur la voiture, donnent leur opinion. Le gosse repart. Coincée entre deux cocotiers, une machine démoule les pneus de notre camionnette. Je fais quelques pas. Des coqs s’agitent sous des coupoles d’osier. Dans le pré traîne un barbecue en métal qui permettrait de régaler tout Vidy un dimanche. Plus loin, devant une petite forêt qui sert aussi de poubelle, je trouve des toilettes publics avec entrée Messieurs, entrée Dames, comme s’il s’agissait d’un endroit public et fréquenté (précisément, ce que je ne comprends pas). Enfin, sous une tente de plastique en lambeaux, une pépinière, des plantes alignées avec leurs prix au cou. Je retourne m’asseoir sur le banc de mortier. L’homme qui jouait au jeu n’a pas bougé. Si pourtant: en mon absence, il a débarrassé ma bouteille de Esta-cola. Arrive une autre voiture. Un 4x4 modèle Ranger avec pare-chocs anti-buffles (pas de buffles dans l’Isan, il doit y en avoir dans la publicité de Ford). Saute à terre une petite femme. Sans un mot, elle se met à cueillir des fraises qui poussent au sol entre des pneus lisses.