Guadalajara 2

L’hôtel s’élève sur le côté gauche de l’autoroute A2 ; en face, la ville. Pour y accéder, une passerelle d’architecte dont la cour­bu­re évoque l’aile d’un Boe­ing. Nous traversons.

-Pre­mier bar, fais-je. 

Mais la mar­que de la bière, le sor­dide du local, l’absence de tapas ; nous pas­sons un bar, un autre, emprun­tons une rue, revenons sur l’avenue, descen­dons (Guadala­jara est en pente). Gala demande. Pour moi, un cal­vaire. Les Espag­nols aiment ren­seign­er, Gala par­ler. Cela dure, je me dan­dine, j’attends. Pes­simiste, je le suis. Mais on pour­rait aus­si dire qu’il s’agit d’un cal­cul : je sais que les Espag­nols ne savent pas. Ou plutôt, qu’ils ne savent que les prox­im­ités. Vous êtes devant un bar. Vous avez décidé qu’il ne con­vient pas. Ils vous diront : « ce bar est le meilleur qui existe ». Pour cause, ils habitent dans le même immeu­ble. C’est leur bar. Le meilleur. Bref, nous mar­chons. Nous descen­dons. Après six cents kilo­mètres de route à tra­vers l’Aragon et la Castille, je mérite une bière, mais Gala n’a pas tort : l’ambiance est mis­érable, obscure, humide. A force, nous voici sur la rue com­merçante, celle que la munic­i­pal­ité arrose à hau­teur du pre­mier étage en péri­ode de chaleur. Et qu’y trou­ve-t-on ? De splen­dides devan­tures en bois des années 1950 au fond desquelles nichent des Chi­nois camelots (ils s’éclairent à l’ampoule 40 watt, comme dans la junge indonési­enne), des bou­tiques d’habits pour grand-pères fran­quistes (pulls en pointe, chemis­es rayées, bou­tons de manchettes et pan­talons de flanelle) et des kiosques de la loterie à numéros. Un bar aus­si. Au ser­vice, des Chiliens. Gen­tils. Esclavagisés.

-Non, je ne peux pas.

Me répond l’homme quand je lui demande me vers­er de la bière dans une verre à cidre. Ce qui veut dire qu’il s’agit d’un étab­lisse­ment fran­chisé. Le bar comme les Chiliens relèvent de la multi­na­tionale. Car il faut savoir, en Espagne, le con­tenu entre­tient avec le con­tenant un rap­port des plus libres. Vous préférez votre vin dans une tasse à café ? Nul ne vous le reprochera. Le chilien confirme :

-Nous sommes un bistrot de chaîne.

Par ailleurs agréable et aux prix mod­iques, pas à se plain­dre, mais l’ambiance est légère­ment mal­hon­nête ; con­cep­tu­al­isée dans un bureau. Nous retournons dans la rue. Cette fois, il n’y a plus rien. Le mag­nifique hôtel à la façade ornée de con­ques (déjà vis­ité), la cathé­drale, le parc, plongé dans le noir, puis le traf­ic, de plus en plus dense. 

-Une heure et demie que nous mar­chons, dit Gala. Tu crois que c’est possible ?

Com­ment savoir ? J’ai vingt-huit Casio et Gala n’en aime qu’une. Elle me l’a mise au bras alors que nous quit­tions la montagne.

-Pas celle-là, objec­té-je, la pile est plate !

-Les autres sont ridicules !

Donc je n’ai pas l’heure. Et Gala se met en tête de deman­der. J’ai dit ce que j’en pen­sais. Mir­a­cle, ce que nous cher­chons existe. Dans l’obscurité, nous trou­vons un taxi. Tous feux éteints, il attend devant la gare routière, elle-même éteinte. Nous remon­tons la ville et man­geons à l’hôtel.