Baccalauréat

Remise des diplômes du bac­calau­réat ridicule, pathé­tique. Mais il s’ag­it de mon fils. Que je sache, bache­li­er je n’ai jamais eu droit — je m’en réjouis — à aucune céré­monie. Aujour­d’hui le spec­ta­cle prime. Puis c’est une école privée, on rend la mon­naie de la pièce. Nous voici ser­rés dans une sale jaune avec d’autres par­ents. Olof­so insiste pour plac­er Aplo entre nous. J’obtem­père. Atten­du à Genève, je manque de temps. Un pro­gramme papi­er cir­cule. Trois pages. Elles annon­cent un dis­cours, des témoignages d’élèves, un autre dis­cours, des inter­mèdes musi­caux, un sketch et un tour de magie. Affolant! A quel moment la remise du diplôme? En milieu de séance, après les Matu­rités. Il fau­dra tenir. Cepen­dant Aplo me désigne une dame longue aux cheveux mai­gres, sa pro­fesseur de philoso­phie. Je salue. Elle répond dis­traite­ment, prend place une rangée devant nous, sort une liasse de feuilles. Par dessus son épaule, je lis: des phras­es décousues, semées de points, qui dansent. Et un mot qui revient, “Sartre”. Réflex­ion: “pau­vre enseignants, à cor­riger des devoirs aus­si médiocres!”. La direc­trice s’a­vance. Elle par­le. Dans sa barbe. Mal. Com­ment dire? Tronque ses phras­es, change de rythme, hésite. Arrive un col­lègue. Il se présente, pro­fesseur de physique et de chimie. Il nous racon­te ses dif­fi­cultés, s’emmêle, pré­cise “c’est qu’est-ce que je veux dire”, cumule les fautes de français, s’ex­cuse, rebon­dit, passe la parole au chef d’étab­lisse­ment. Celui-là remonte le niveau, par­le juste et bien, tel une admin­is­tra­teur. S’a­van­cent les musi­ciens. Un gamine, un gui­tariste. L’homme à la gui­tare donne le titre de l’oeu­vre. Explique ce titre. Demande si nous recon­nais­sons la langue. Com­mente, “c’est une langue d’époque”, si je com­prends bien de l’anglais médié­val. Après quoi, série de fauss­es notes. La honte me gagne. Com­ment fuir? Je sais. Men­tale­ment, je refais les cal­culs de mon devis pour instal­la­tion du réseau élec­tron­ique dans les dix-sept bâti­ments de l’hôpi­tal de Genève, avec la TVA, la rémunéra­tion des ouvri­ers et le béné­fice pour l’en­tre­prise. Exer­ci­ce salu­taire, je n’en­tends plus, ne vois plus. Lorsque la flûte se tait, la philosophe s’a­vance et occupe la scène. Elle coiffe une cas­quette de rappeur, ses feuil­lets à la main, elle pas­tiche un élève décon­te­nancé par cette matière nou­velle qui décline les mots “essence”, “néant”, “être”. Mon devis men­tal achevé, je n’ai plus de recours. Je tran­spire. Je souf­fre. Com­ment peut-on? Cette équipe de bras-cassés, à mille lieues de toute dis­ci­pline, qui exalte les ver­tus du tra­vail! C’est l’hôpi­tal qui se moque de la char­ité! Vite, un autre devis! Que j’échappe à ces grands imma­tures qui — paraît-il — don­nent des leçons à des can­di­dats au bac. Par­mi lesquels mon fils. Qui a obtenu son pas­sage. Qu’on appelle. Il se lève. Les par­ents applaud­is­sent. Je me joins à eux. Aplo tra­verse la salle. Droit, sérieux. Beau jeune homme. Les mains dans les poches (dom­mage). Il reçoit son diplôme, serre la main du directeur et du chef, pose pour la pho­to, lance“j’aimerais remerci­er mes par­ents et (ici, le nom d’une pro­fesseur). Voilà qui est touchant! Bien, je peux par­tir. Olof­so com­prend. D’ailleurs, je lui rap­pelle: “la licence de philoso­phie, au Petit palais, tu te sou­viens ? Tu m’at­tendais dehors. Je suis entré et ressor­ti. Sept min­utes. Puis nous sommes allés boire et fêter.”