Arabes 4

Ce ven­dre­di, même scène des tapis. Il va son­ner midi. Lorsque je me penche à la fenêtre, le square a été repeint aux couleurs de l’is­lam. Je ful­mine. Pas d’en­fants. Ils ont fui. Rem­placés par des Magrhébins et des noirs en pyja­ma, djellabas et que sais-je. Ils se tien­nent la main, se couchent, s’age­nouil­lent, fument et monop­o­lisent. De la mosquée sort un bar­bu un haut-par­leur à la main. Il s’en va. Revient avec un sec­ond haut-par­leur. Main­tenant, il tire un câble en tra­vers de la route. Et apporte un engin. Cinq min­utes plus tard, un chant reten­tit. Enfin, chant, c’est beau­coup dire. Les Arabes, les noirs s’age­nouil­lent, com­men­cent à prier. Je me dresse à la fenêtre. “Viva Italia! Back to Africa! Islam e mer­da!” Quinze ans de hard­core ont cul­tivé ma voix; elle porte. “Democrazia! No Islam!” Cette fois, c’est l’émeute. Les Ital­iens de Bor­go Alle­gri sont aux fenêtres: les cuisiniers sor­tent des trat­to­rias, et les anti­quaires, et le boulanger du Forno. Com­mence la prière. Deux cent éner­gumènes en rythme, et je me relève et je me couche. Des gars qui dor­ment dans la rue, sen­tent encore la cas­bah et l’eau de la Méditer­ranée. Au cen­tre de Flo­rence, à trois cent mètres du Dôme! Je prends mon souf­fle et dou­ble la mise: “Is-lam, mer-da! Democrazia!”. Entre-deux:
-Gala, va chercher les flics avant que ces crétins ne mon­tent me lynch­er!
Les bras se ten­dent, les insultes fusent. Gala se maquille.
-Main­tenant Gala, si tu veux me retrou­ve entier! Ils sont deux cent!
Calme et affolée, elle répète:
-Oui, attend, oui, j’y vais!
De retour à la fenêtre, j’en­voie de nou­veaux slo­gans, mais dois couper court, on sonne: la police. Deux agents mon­tent, la main sur leurs flingues. Gala fait entr­er. Au début, ils ne sont pas ras­surés. Puis ils voient que je suis sobre et décidé. Ils com­pren­nent ce que je dis:
-Ras­surez-moi, cette saloperie n’est pas autorisée!
Elle l’est. Par le préfet. Ces pau­vres clan­des­tins débar­qués par la maf­fia n’au­raient pas assez de place pour prier donc, en atten­dant une meilleure solu­tion, les politi­ciens leur ont don­né le square. Je me tape la tête. En lan­gage uni­versel: “mais enfin, vous les Ital­iens, êtes com­plète­ment fous!”. A nou­veau on sonne. Il me sem­blait bien, tan­tôt le flic a par­lait dans son walkie-talkie. Gala ouvre: c’est l’in­specteur. Il est en civ­il. Le flic a dû lui dire que ce n’é­tait pas dan­gereux. Il vient pour clore l’af­faire. Pen­dant qu’il par­le en ital­ien avec Gala, les flics en uni­forme me font signe. Ils m’en­traî­nent dans la cham­bre à couch­er et refer­ment la porte sur nous.
-Moi, me dit l’un des agents, je pense comme vous, il faut les pen­dre, mais je ne peux rien faire. C’est le préfet.
-De quel par­ti?
-Sinies­tra.
-Por­ca mis­e­ria!
Une heure plus tard (les flics sont par­tis), c’est les pro­prié­taires de l’ap­parte­ment qui débar­quent. Ils sont inqui­ets. Trem­blants. Surtout la femme. Gala leur fait des politesses. Je tranche: “écoutez, si j’avais su qu’il y avait une mosquée sous ce loge­ment, jamais je n’au­rai loué. Je déteste ces musul­mans qui vien­nent pour­rir ce qui reste de nos démoc­ra­ties”.
Alors le pro­prié­taire:
-Je suis musul­man.
Depuis ven­dre­di, je sors armé. Et avant ou après Gala. Car il me faut chaque fois pass­er devant les quinze, vingt, trente éner­gumènes qui règ­lent leur traf­ic sur le trot­toir. Et qui savent qui je suis.