Mois : septembre 2018

Ramon

Gala se tient au bas de la rue, près de la fontaine. Elle m’ap­pelle. Un voisin l’ac­com­pa­gne. A tra­vers la mous­ti­quaire, je peine à recon­naître la sil­hou­ette. Je sors. Elle me présente Ramon. L’homme a une grosse tête, des épaules car­rées, il tient un bâton, arrive de la riv­ière, par­le à force voix et sans arrêt. Je veux remon­ter à la mai­son, il m’en empêche: il faut venir. D’ailleurs, il entraîne Gala. Je m’ex­cuse: nous venons d’ap­porter de la glace du super­marché, elle va fon­dre… Le temps de tourn­er les talons, Gala a dis­paru. J’en­tends sa voix. Elle appelle. Très vite, je range la glace et reviens dans la rue. Puis dans une autre. Der­rière un mur, j’en­tends “mais où est-il?”. C’est Gala, elle me cherche. La voici! Ramon la pousse à tra­vers une porte. Je suis. Il nous mon­tre ses meubles, son escalier, sa table, son porte-man­teau. “Fait en une mat­inée”, dit-il. Et cette malle, “en deux heures”. Et ça, “en quelques min­utes!”. Il rit: “non, mais non, ce n’est rien. Avec une toupie et des planch­es de cinq, un mon­tant ou deux. Là, tiens, regarde cette étagère, alors? Trois quarts d’heure !”. Puis, tra­ver­sant une cham­bre à couch­er: “je sais, vous êtes venus pour les pein­tures!” Du coin de l’œil, j’in­ter­roge Gala. Ramon me met un pan­neau dans les bras.
-Ma femme, tou­jours ma femme! Mer­veilleux, non? Et médié­val! Elle a gag­né le pre­mier prix Jacques de Com­postelle! Ce ne sont que des répliques orig­i­nales. Com­bi­en vous m’en don­nez? Elle ne veut pas ven­dre! Bien sûr, elle s’en fout, ce qui l’in­téresse, c’est pein­dre, et pein­dre. Là, voilà un ange. Il y en a partout! Des saints, des anges, et là, tout une frise! Gala, regarde ce pan­neaux! Je les prends à la décharge et ma femme en fait des mer­veilles. Dès que le pan­neau appa­raît, c’est fini : elle a peint.” Et ain­si de suite, anec­dote sur anec­dote, ou plutôt, la même anec­dote, pein­ture et meubles, meubles et pein­ture. J’es­saie de par­ler. Ramon m’en empêche: il a tant de choses à dire. Au bout de dix min­utes, nous sommes étour­dis. Nous avons vus la cham­bre des enfants (“la porte ferme, comme ça ils ont un peu d’in­tim­ité, ils sont grands main­tenant”), la mez­za­nine, le salon de télévi­sion, la salle de bains et même les toi­lettes, en bois. Et quand, enfin, après moults ten­ta­tives, nous retrou­vons la rue, Ramon fait: “ne bougez pas!”. Puis nous revient avec une pho­togra­phie de sa femme.
-Est-ce qu’elle est belle? Elle l’est. Le por­trait date de 1965. Quel âge avait-elle? Vingt-cinq ans…? Désor­mais, quand elle n’est pas là, j’ac­croche cette pho­to à côté de mon lit pour me sou­venir. Tu ver­ras Alexan­dre, c’est ce que tu feras quand Gala aura vieil­li!”
   

Nocturne 2

Cer­cueil-hôtel.

Main

Sa si belle main pendait au bord de l’eau noire.

Nocturne

Une par­tie de la nuit je répé­tais ces phras­es que je com­pre­nais mal, que je ne com­pre­nais pas et les mod­i­fi­ais pour en tir­er un sens: “Entre soi et soi-même, Dieu. Qui à la prière donne direc­tion. A tra­vers elle, on se réalise et se rejoint, et gran­di. Ce qui n’est pas pouvoir.”

Ordre

L’is­lam est com­pat­i­ble avec le cap­i­tal­isme, donc adoubé, car ce n’est pas une reli­gion, mais un principe d’or­gan­i­sa­tion des mass­es, un ordre.

Dolores

Quand meurt une star, elle meurt. Les cir­con­stances sont rap­portées plus tard, une fois l’af­faire éven­tée. Est-ce pour des raisons com­mer­ciales, pour que les cap­i­taux investis sur le nom con­tin­u­ent de rap­porter? Ou sim­ple­ment pour cacher à la jeunesse les couliss­es du par­cours auquel sont con­traints ces pro­fes­sion­nels (O’Ri­or­dan, Ull­rich, Avicii) trans­for­més par les multi­na­tionales en objet spécu­latif, souf­france qu’ils endurent en ver­sant dans l’ex­cès chim­ique et auquel, à l’oc­ca­sion, ils succombent?

Agneau

Dans la salle com­mu­nale, autour de longues tables, nous man­geons avec cinquante vil­la­geois le “cordero a la pas­to­ra”, l’ag­neau que tue le berg­er avant de descen­dre de l’al­page, morceaux comme tronçon­nés — plat sans apprêt, impos­si­ble à présen­ter en restau­rant — puis bouil­lis en mar­mite avec des pommes de terre. Cha­cun apporte son assi­ette, le vin est partagé, de même que les desserts, gâteaux de noix, beignets, pêch­es alcoolisées. Gala monte chercher une bouteille. Je lui fais pren­dre la meilleure. Elle est de la même cave que celle que j’ai apportée en mai pen­dant les journées de cueil­lette des champignons. Ce jour-là, le vin était passé. Je m’en excu­sais. Voilà qui se repro­duit. Pour­tant, la veille, Gala et moi avons ouvert une bouteille de la même éti­quette. Je venais de lui racon­ter l’in­ci­dent, mais non, le vin était excel­lent. Aus­si me vois-je con­damné à rap­porter les mêmes cir­con­stances qu’au mois de mai, l’air con­trit, ne sachant si l’on me croira pour la deux­ième fois:  “j’ai pris ce vin à Barabas­tro, l’été il est resté dans le salon, oui, il y fait chaud, non il n’é­tait pas au soleil…” Et cha­cun de se pass­er le verre, de juger le rouge excel­lent, mais un peu tourné — décidément!

Eté

Au dernier jour d’août, le soleil s’est retiré, la tem­péra­ture, chaude et lumineuse depuis six semaines, a bais­sé. Comme nous pas­sions d’un mois à l’autre, ce change­ment inquié­tait: que la nature s’aligne brusque­ment sur le cal­en­dri­er, voilà ce qui inquié­tait. Hasard, mais au vil­lage, les habi­tants scru­taient le ciel, con­statant : c’est l’au­tomne. Le lende­main et le jour d’après, dans les con­ver­sa­tions de rue, cha­cun annonçait le retour de l’été. Il a plu. Quelques gouttes après des heures de ton­nerre et de gri­saille. Le soleil n’est pas revenu. Il passe au-dessus de la val­lée. S’en va. A l’in­stant, les cloches de la chapelle ont son­né. Trois pétards ont éclaté. Ain­si démarre la fête de San­ta Cil­ia. En soirée, les habi­tants iront au bar, à dix heures tout le monde s’a­chem­inera vers la salle com­mu­nale pour manger du mou­ton. Ensuite, si je com­prends bien, l’été est fini, tout est silence jusqu’à Noël.

Fidélité

La femme espag­nole est fidèle, me dit Mon­père, car elle ne voudrait pas que l’on dise qu’elle a un mari cocu.

Secret

Sa façon de défendre le secret était d’en dire le plus possible.