Mois : juillet 2018

Balconing

Luv s’en­volant dans une semaine pour une sta­tion bal­néaire de la Cat­a­logne à l’oc­ca­sion de son pre­mier voy­age adulte, je lui dis:
-Ne tombe pas d’un bal­con, laisse faire les autres!
Et lui enjoins, alors qu’elle me con­sid­ère inter­dite, de se méfi­er d’abord des Anglais.
Ce soir, trois jours après cette mise en garde qui lui parais­sait inepte, El País titre: “Touriste, anglais, âgé de vingt ans, sur la côte espag­nole le “bal­con­ing” se propage.

Contraires

A l’op­posé de la télé­phonie mobile, la famille.

Ici

Réponse générale quand je salue dans la chaleur de l’après-midi un vil­la­geois assis sur un banc de pierre, debout appuyé sur sa canne ou encore une femme au milieu d’un champ d’un “ça va?”:
- C’est ici que nous sommes!

Piscine

Au bout d’une val­lée que sonde une route étroite, sim­ple bande d’as­phalte, à la recherche de la piscine publique dont nous a par­lé la femme du maire, et en effet, passé un pont, nous voyons entouré de som­mets ronds, boiseux, chauds, sauvages ram­pants jusqu’au som­mets pyrénéens enneigés, un bassin en forme de dragée dont nous sommes, sous un para­sol de branch­es sèch­es car l’or­age roule, les seuls baigneurs.

Plus tard 2

Mon plaisir de plus grande jouis­sance est ces jours l’idée de ce que je vais faire, étant libre absol­u­ment de dis­pos­er, lequel plaisir dure quelques sec­on­des, le soir, en cham­bre, à l’ex­tinc­tion des feux, quand j’en­trevois les possibles.

Canyon

Ce matin, près de Biel­sa, tra­ver­sée d’un canyon enfoui au pied du col du Pour­talet. Un sen­tier de forêt débouche sur le tor­rent. Har­nachés, cou­verts, casqués nous entrons dans le défilé. Des tobog­gans nous propulsent dans des trous d’eau, nous grim­pons. Pre­mier saut de cinq mètres, puis un sec­ond à exé­cuter depuis un para­pet. Le guide lève la main pour sig­naler sa posi­tion. Il faut  escalad­er une paroi abrupte et ruis­se­lante. Luv s’in­quiète. Moi aus­si. A enten­dre l’im­pact des corps dans le fond du canyon, la chute se fait de haut; je passe devant, choi­sis de descen­dre les sept mètres en rap­pel plutôt que de me jeter dans le vide (d’au­tant plus qu’il faut sauter devant soi pour ne pas per­cuter le tabli­er évasé qui forme la base de la paroi). Aplo, bien sûr, saute. Le plus mar­rant — si l’on peut dire- c’est que nous sommes accom­pa­g­nés d’un nain. Qui ne man­i­feste aucune peur. Au con­traire de Luv, qui com­mence à s’in­quiéter (à un moment, dira-t-elle l’épreuve finie, j’au­rais préféré représen­ter mon oral de géo­gra­phie plutôt que con­tin­uer). Elle n’est pas seule à s’in­quiéter: quand j’é­tais lance-mines de mon­tagne, je n’ai jamais osé descen­dre des parois “à la valaisanne” — ce qui voulait dire, le corps à l’hor­i­zon­tal et tête devant. Cette fois, le guide est encordé à vingt mètres au dessus d’une fos­se bleue. Je ras­sure Luv (pour me ras­sur­er moi-même): “il ne s’ag­it pas de sauter!” Et j’at­tends mon tour.  Sus­pendu dans le vide, je me laisse gliss­er vers le fond d’eau, les jambes con­tre la façade. Moi qui ai le ver­tige et peur de tout, surtout de ce genre de témérités, je réus­sis même à regarder con­tre le bas où j’aperçois les remous que provoque la cas­cade, mais atter­ris­sant dans l’eau, peut-être parce que le soulage­ment me brouille les idées, je ne parviens pas à me détach­er, plus exacte­ment, je ne trou­ve pas le mous­que­ton qu’il s’ag­it de décrocher pour que le guide, lequel se tient vingt mètres plus haut, en retrait, donc invis­i­ble, puisse remon­ter la corde de sécu­rité. Or, je ne peux pas nag­er, je suis attaché, pas me hiss­er, la roche patine comme un savon, quand aux bouil­lons d’eau, ils m’aveu­g­lent. Un début de panique s’in­stalle. Puis je vois (comme sou­vent) que je cherche une solu­tion com­pliquée à un prob­lème sim­ple car le mous­que­ton qu’il s’ag­it d’ou­vrir est là, juste au-dessus de ma tête. Craig­nant que Luv ne ren­con­tre le même prob­lème, je reste dans le tor­rent et je fais bien: atter­ris­sant, ses cheveux s’emmêlent dans le har­nais — je la dégage. Enfin arrive Aplo, à l’aise comme s’il avait fait cela toute sa vie et de trous d’eau en cas­cades l’ex­cur­sion se pour­suit, le nain allant devant, alerte, les bras déployés comme des ailes de papillon.

Mail

Depuis trente ans et l’in­ven­tion de l’échange de mails, la langue de com­mu­ni­ca­tion se dégrade. L’effet est surtout dom­mage­able dans la rela­tion intime, les rap­ports cir­con­stan­ciels rel­e­vant d’un for­mal­isme qui échappe d’emblée au lit­téraire. Par dégra­da­tion, ce n’est pas telle­ment de l’orthographe (devenu erra­tique à force d’ac­céléra­tion du médi­um) dont je veux par­ler, mais du con­tenu sub­til et de l’idio­syn­crasie que les bon­heurs d’ex­pres­sion s’at­tachaient à cir­con­scrire. Du fait de son immé­di­ateté, le mes­sage élec­tron­ique entraîne une mécan­i­sa­tion des sen­ti­ments; l’esprit se sim­pli­fie; le dévoile­ment de soi est appau­vri. A la lim­ite, la con­tri­bu­tion de cha­cun d’en­tre nous à un monde humain est contrariée.

Travail

Léon Daudet à pro­pos de Vic­tor Hugo, “ora­cle tra­pu, aux yeux bleus, à la barbe blanche”: “Il ajou­ta, en me met­tant sur le front une main douce et belle, ornée d’une bague que je vois encore et qui me rap­pela la Con­fir­ma­tion: “Il faut bien tra­vailler et aimer tous ceux qui travaillent”.

Plus tard

Rêver à ce que l’on fera plus tard comme si plus tard c’é­tait les cent prochaines années.

Bousquet

“L’élé­va­tion morale, fonde­ment du pro­grès artis­tique”, écrit Joë Bous­quet dans Mys­tique, mais une fois l’ab­solu ôté, il n’est plus ques­tion d’élé­va­tion comme d’un état défi­ni, plus ques­tion d’im­i­ta­tion, mais bien d’une quête, celle-ci pro­duisant un art qui tend vers la morale, autrement dit déroule une suite d’er­reurs humaines.