Savoie

Pas de Mor­gins — sur la descente de col, un véhicule me talonne. Selon mon habi­tude, je provoque, freine, freine encore. De rage, l’autre manque finir dans le ravin. Il ne va pas au bout de son idée, redresse et dis­paraît côté France. Au ralen­ti, nous entrons dans Châ­tel fan­tôme. Au cœur de la sta­tion, entre l’église, le mon­u­ment aux morts et le park­ing, alignés, les bars; ils sont pleins, les ter­rass­es don­nent sur la route, les 4x4 roulent sur les pieds des buveurs, de jeunes bronzés, pour cer­tain brûlés, à l’ivresse euphorique, aux faces con­tentes d’ac­teurs pub­lic­i­taires. Gala penchée repère les hôtels, je m’oc­cupe du ver­dict: “…fer­mé! …fer­mé!”
-Et celui-là?
-Fer­mé.
-Mais enfin s’emporte-t-elle, qu’en sais-tu?
-Pas de lumière, volets clos.
Nous roulons jusqu’à La Chapelle d’Abon­dance. A part cette brasserie mon­tée par des Anglais où nous avons dîné en en 2010, rien que des façades aveu­gles. De retour à Châ­tel, Gala saute de voiture et ques­tionne un pom­pi­er. Avec un accent du Lot-et-Garonne, il s’ex­cuse:
-Je suis saison­nier.
De même que les autres, les bronzés qui boivent pour fêter, car c’est la fin de la sai­son, la sta­tion a dû fer­mer il y a quelques heures. Fin du statut de touriste. Vous n’ex­is­tez plus. Arrêt dans un bar, en bord de départe­men­tale. J’ai cru voir des con­som­ma­teurs: je me trompe, ce sont les amis de la patronne et je ne suis pas le bien­venu. Une pas­sante nous envoie à l’Of­fice du tourisme. Nous y trou­verons, dit-elle, la liste des hôtels ouverts. Tourné sur route, je plante devant l’Of­fice: il est fer­mé, il n’y a pas de liste.
-Allons voir au fond de la val­lée!
Télé­cab­ines enca­pu­chon­nés, restau­rant fer­mé.
-Assez, dis-je, je ren­tre en Suisse, je retourne dans l’ar­rière-bou­tique!
Mais la déci­sion est moins nette qu’il n’y paraît car je ne sais où met­tre la voiture. Il faudrait la rap­porter à la ferme, chez Mamère, la gar­er dans le champ et redescen­dre en train à Lau­sanne — com­pliqué. C’est alors quer nous avi­sons un bâti­ment-chalet. Comme les autres, volets clos, lumière éteinte. Une feuille est scotchée de tra­vers sur la porte de vit­re: ouvert. Les deux mégères qui en sor­tent con­fir­ment:
-Que voulez-vous?
-Dormir.
-Parce que manger, on ne peut pas. Suiv­ez-moi!
Char­mant. Odeur de vieille raclette et de chaus­sures de ski. La mégère me tend une clef. Celle-ci est attaché à un morceau de bois. Je fais sauter le morceau dans la paume de ma main.
-Quel numéro de cham­bre?
-Myr­tilles.
-Oui, mais…
-Pre­mier étage.
Jolie pièce, et vaste, décorée façon chalet pour Parisiens. Je sors sur le bal­con, m’assieds dans une chaise-longue IKEA. Tan­dis que Gala, la tête dans la voiture, se maquille, les mégères mon­tent à bord d’un 4x4. Elles s’en vont. J’ai mes bières, mais il n’y a pas de frig­ori­fique. Nous remon­tons à Châ­tel. Dans la rue des bronzés, tra­ver­sée de rires, nous prenons place sur une ter­rasse de restau­rant. Je com­mande des pres­sions:
-Je viens de couper le fût, la sai­son est finie.
Nous retournons à La Chapelle, chez les Anglais, qui nous ser­vent un excel­lent repas mon­di­al­isé: car­ré de viande à griller soi-même, frites en cor­net sur leur sup­port, hors d’oeu­vres appelés “avalanche d’an­tipasti”. Heureuse­ment, Gala trou­ve “déli­cieux”.