Mois : avril 2018

Drapeaux

Aus­sitôt que le fer­ry a pris ses dis­tances avec le port de Ios, le mousse descend le dra­peau grec et le dra­peau de la com­pag­nie Hel­lenic. A l’ap­proche de Nax­os, il remonte les deux dra­peaux. Puis les redescend. Avant d’ar­riv­er à Paros, il les remonte. Et ain­si de suite, jusqu’au Pyrée.

Soleil

Antoni, le cap­i­taine que nous avons engagé à Ios, me dit: “Vois-tu, les Améri­cains aiment assis­ter à des couch­ers de soleil. Chez eux, ils ne voient pas le soleil, il y a trop de buildings”

Ignorance

Tant qu’ils croiront que Dieu est grand, ils vivront dans l’ig­no­rance et dans la guerre. Des­tin sub­limé par l’oc­ci­dent blanc et rai­son suff­isante pour ne rien céder de nos prérog­a­tives ni de nos territoires.

Folegandros 2

Au vil­lage de Cho­ra, ce chien qui entre par une mai­son, ressort par l’épicerie, entre dans un restau­rant, ressort par la classe d’é­cole. Et tout le monde l’ap­pelle par son nom.

Chèvres

Loin du rivage, un cail­lou. Plan­té de biais dans les eaux, il n’est pas plus long que la coque d’une transat­lan­tique en phase de naufrage. Dessus, huit chèvres.

Folegandros

Bâti au-dessus d’une falaise, le vil­lage de Cho­ra (qui occupe comme son nom l’indique le cœur de l’île) est blanc et bleu, mais en avril, après les rigueurs de l’hiv­er, il a per­du quelques degrés de lumi­nosité aus­si les habi­tants sont-ils ce matin occupés à le repein­dre. Hommes, femmes, vieil­lards ado­les­cents, mais encore tous les enfants sous les ordres de la maîtresse du pri­maire, se promè­nent sous les figu­iers un pinceau à la main et dessi­nent les façades, les per­spec­tives, les con­tours de fenêtres et jusqu’aux dalles des trot­toirs dans l’at­tente des pre­miers touristes. 

Criques

J’ou­bli­ais: dans l’Eu­rope nou­velle, il faut un per­mis de con­duire jusque dans les îles. Ajou­tons que l’opéra­tion, comme il se doit, est com­mandée par une multi­na­tionale. Si à Milos j’ai pu m’arranger, c’est que le loueur com­merçait sous son mom. Ici, à Ios, Europ­car a racheté les suc­cur­sales grecs. A la clef, toutes les mesures de police, d’as­sur­ance, de réas­sur­ance. Voyez-vous, dis-je à l’aimable et bornée jeune fille, l’U­nion européenne vous écrase et non con­tents, vous légitimer ses visées en vous pli­ant à ses dik­tats (mais les Grecs n’ont pas l’idée de l’ef­fi­cience poli­tique — l’habi­tude est aux pal­abres, à la dis­pute sportive entre par­ti­sans, de préférence sur le port, à l’heure de l’apéri­tif, et le reste, c’est Athènes, de longue date aux mains d’une poignée d’in­com­pé­tents qui détour­nent la manne). Fâché, je loue un bateau. Le cap­i­taine me pro­pose de tra­vailler au noir. Non que cela rende le prix plus abor­d­able (le rap­port qual­ité- prix n’est pas bon dans les Cyclades), mais cela lui per­me­t­tra de vers­er une obole moin­dre à la hiérar­chie autori­taire qui, de Brux­elles, mène à ce petit port où offi­cient une maréchaussée. Vol­er l’E­tat étant à mes yeux un devoir citoyen, par ailleurs pressé de pren­dre le large, je signe. Quelques min­utes plus tard, propul­sée par deux moteurs Yama­ha, l’embarcation met le cap sur les criques du ponant. L’eau est turquoise, les fonds dorés, le roc sail­lant, bref, tous les adjec­tifs que l’on voudra — c’est une mer­veille. Luv enfile des palmes, je passe une masque, nage marche le long de la plage, reviens. Sur le pont, nous ouvrons des bières. Puis le cap­i­taine cin­gle vers des grottes. Couchés sur la proue, devant la cab­ine, nous lon­geons la côte pen­dant des heures.

Ouest

Balade en scoot­er dans la par­tie ouest de l’île de Milos, la plus désolée. Au pre­mier arrêt, devant une chapelle, un chat nous attend. Ils nous regarde descen­dre vers la crique. De retour, nous le cares­sons encore, puis reprenons la route; suc­cède un chemin, puis un sen­tier. Sur les cail­loux ronds, poin­tus, rouges, blancs et noirs, je roule avec pru­dence. Si nous cas­sons une pièce, nous sommes à dix-huit kilo­mètres du port d’Adaman­tas. Les rares maisons sont fer­mées. Le temps se gâte, le vent se lève. Je ralen­tis pour éviter l’embardée, Luv se penche. L’a­verse s’a­bat sur un îlot mais épargne la côte. Le soleil revient. Le soir, entraîne­ment au bâton, une sec­tion de roseau séchée à l’eau de mer que j’ai ramassée dans la crique. Puis la seule chose que nous trou­verons à manger de la semaine, de la salade grecque. Il y a bien du “gyros” c’est à dire le kebab inter­na­tion­al, ce ham­burg­er du pau­vre — donc salade, et bières, Mythos, Kaiser, Mamos, Fix.

Milos

Il y a vingt ans, je roulais en scoot­er en Capadoce, Olof­so était à l’ar­rière; aujour­d’hui Luv est à l’ar­rière, elle a dix-sept ans.

Bruit

A qua­tre heures du matin, série de coups. Réveil­lé en sur­saut, je retire mes tam­pons et dresse l’or­eille. Encore des coups. Comme un marteau qui frap­perait un con­duit. Le rythme est irréguli­er. Un arrêt. Je me recouche. Cela reprend. J’en prof­ite pour aller aux toi­lettes. De retour, je patiente quelques min­utes, puis c’est assez. J’ou­vre la porte et avec cette voix endi­a­blée que je sais fab­ri­quer (entraîne­ment liée au hard­core), je hurle en anglais : “silence!”.
Le bruit s’ar­rête puis reprend. Il va en dimin­u­ant. Comme s’il s’éloignait ou que l’on frappe avec moins de vigueur. Luv se ren­dort. Plus tard, j’ar­rive à une con­clu­sion — ce qui me réveille: le cou­ple à côté, il fai­sait l’amour! Alors, je m’en veux. Pour­tant, j’au­rais juré, cela ressem­blait à des coups de marteau. Le matin, avec Luv, nous faisons le test. Je pousse le lit de métal con­tre le mur. Luv n’est pas con­va­in­cue. De plus, le reste de la nuit, j’ai mal dor­mi. En effet, je songeais: “Alexan­dre, tu vas descen­dre pour le petit-déje­uner et tu vas te trou­ver nez à nez avec ce cou­ple!. Or, sor­tis dans le couloir, nous con­sta­tons qu’il n’y a pas de cham­bre à côté de la nôtre.