Criques

J’ou­bli­ais: dans l’Eu­rope nou­velle, il faut un per­mis de con­duire jusque dans les îles. Ajou­tons que l’opéra­tion, comme il se doit, est com­mandée par une multi­na­tionale. Si à Milos j’ai pu m’arranger, c’est que le loueur com­merçait sous son mom. Ici, à Ios, Europ­car a racheté les suc­cur­sales grecs. A la clef, toutes les mesures de police, d’as­sur­ance, de réas­sur­ance. Voyez-vous, dis-je à l’aimable et bornée jeune fille, l’U­nion européenne vous écrase et non con­tents, vous légitimer ses visées en vous pli­ant à ses dik­tats (mais les Grecs n’ont pas l’idée de l’ef­fi­cience poli­tique — l’habi­tude est aux pal­abres, à la dis­pute sportive entre par­ti­sans, de préférence sur le port, à l’heure de l’apéri­tif, et le reste, c’est Athènes, de longue date aux mains d’une poignée d’in­com­pé­tents qui détour­nent la manne). Fâché, je loue un bateau. Le cap­i­taine me pro­pose de tra­vailler au noir. Non que cela rende le prix plus abor­d­able (le rap­port qual­ité- prix n’est pas bon dans les Cyclades), mais cela lui per­me­t­tra de vers­er une obole moin­dre à la hiérar­chie autori­taire qui, de Brux­elles, mène à ce petit port où offi­cient une maréchaussée. Vol­er l’E­tat étant à mes yeux un devoir citoyen, par ailleurs pressé de pren­dre le large, je signe. Quelques min­utes plus tard, propul­sée par deux moteurs Yama­ha, l’embarcation met le cap sur les criques du ponant. L’eau est turquoise, les fonds dorés, le roc sail­lant, bref, tous les adjec­tifs que l’on voudra — c’est une mer­veille. Luv enfile des palmes, je passe une masque, nage marche le long de la plage, reviens. Sur le pont, nous ouvrons des bières. Puis le cap­i­taine cin­gle vers des grottes. Couchés sur la proue, devant la cab­ine, nous lon­geons la côte pen­dant des heures.