Grosse neige sur Agrabuey. Les ruelles se remplissent, les toits se chargent. Antonio débarrasse à l’aide de son trident. J’insiste pour lui prêter ma pelle: elle est neuve, fais-je valoir, je viens de la commander en Allemagne. Il ne veut pas. Luv est étonnée par le trident. Nous marchons à travers le village, en baskets, les enfants ont vite les pieds mouillés (cela, depuis qu’ils sont nés, génération qui ne se chausse pas). Je leur fais la visite: l’église et l’ancienne école transformée en bar, le pré aux moutons, la piste de fronton, les ponts de pierre sur la rivière et le canal. Quand nous revenons dans notre rue, Antonio a renoncé à déplacer les paquets de neige, ils se reforment aussitôt, mais pas un des voisins de Saragosse qui a sorti le jet d’eau et arrose devant sa porte. A l’heure du repas, tout le monde rentre et la neige continue de tomber. Durant l’après-midi, le village s’enfonce. Nous descendons à la ville, mangeons le manu chez Brasa, au milieu des familles; au moment de sortir mon porte-monnaie, je m’aperçois que je l’ai perdu. Le patron et la patronne me rassurent, nous souhaitent bon Noël, “si vous ^tres encore dans la région, vous viendrez payer un autre jour!” (Fausse alerte, le porte-monnaie était resté sur la table, par courtoisie, je rappelle le restaurant.) Quatre heures et demie, le ciel poudroie, nous passons la double montagne qui cache Agrabuey derrière des touristes qui roulent des voitures équipées de chaînes, puis nous préparons le souper de Noël. Luv écrit et dessine les menus, Aplo prépare la mousse d’avocat et le foie-gras, je m’occupe de la crème de chou-fleur au caviar. Plat principal, pavé de vache et demi-homard. Etrange bête de l’Atlantique au milieu de toute cette neige. Dehors, vaste silence. Alourdie, la cloche de l’ancienne école peine à sonner. A minuit, nous distribuons les cadeaux. Les enfants m’offrent un phare de vélo, ils reçoivent des coffrets de parfums, des habits, Luv, un jeu de serviette de bain brodée à son nom.