Juge 2

Fri­bourg — mille per­son­nes sur le quai de gare, dans le souter­rain et sur l’e­s­planade. A vingt mètres, une ville silen­cieuse aux trot­toirs enneigés. Le rue de Romont, éteinte. Plus bas, place Georges-Phy­ton, une auto­mo­bile me laisse pass­er. D’un geste, je remer­cie. Si tôt, cet homme a déjà les bons réflex­es! Il y a des héros. Je passe devant le mag­a­sin biblique. A gauche, à l’en­trée de la rue de Lau­sanne, je vois que le Libanais à décroché nos cadres d’af­fichage. La bou­tique est vide. Un ancien mil­i­taire de l’ar­mée d’Aoun. Bon gars, mau­vais cuisinier. Il a dû par­tir. Ou alors, lui aus­si a été con­vo­qué. Com­ment peut-on? Con­vo­quer ain­si, en pleine nuit, quand il neige, au milieu de ce décor de molasse? Ajouter un peu de lumière ! Eclairez-moi! C’est sin­istre et froid et som­bre. Pour­tant, c’est réel. Suisse. Un Espag­nol prendrait les jambes a son cou. Il fuirait. Pour peu qu’il ait vu des films, il ten­terait le sui­cide. Et puis, je dois chi­er. Or, il s’ag­it d’ar­riv­er à l’heure. Man­querait plus que ça: prou­ver d’en­trée que l’on est voy­ou. Mais boire un café serait trop long. D’ailleurs, il n’y en a pas. Sous les enseignes, les salles sont plongées dans le noir, les chais­es tournées sur les tables. Ce n’est pas que j’aie mal au ven­tre, mais je ne suis inqui­et. Etre con­vo­qué, on sait ce que ça sig­ni­fie: jouer selon des règles incon­nues. Mon pays, j’en dit: “rien de plus beau!” Puis à part moi, “quand on le regarde ou s’y promène, de préférence : près des som­mets”. Oui, triste mécanique morale. Impec­ca­ble et inadap­tée — à jeter aux orties. Mais qui a ses servi­teurs. En pan­tou­fles. Puis je me ravise. L’E­tat fait bien les choses. Dans une ruelle médié­vale, der­rière le Tri­bunal, je trou­ve des toi­lettes éclairées, chauf­fées et pro­pres. De plus, elles fer­ment. Je m’in­stalle. Quel meilleur endroit pour révis­er son texte?