Grade 2

A sept heures, je vois que les rues sont blanch­es et qu’il con­tin­ue de neiger. L’ex­a­m­en de cein­ture verte a lieu à dix heures, j’ig­nore si la voiture à des pneus d’hiv­er. Je cherche un bon­net, je n’ai pas de sac de sport. La veille, j’ai pré­paré vingt car­tons de livres ( des­tinés à Agrabuey). Ils for­ment une muraille devant l’ar­moire des habits. Je tasse mon matériel dans un sac de super­marché, gants de boxe et pro­tec­tions, chaus­sures plates, pro­tège-dents, et de l’eau, des bar­res de céréales. Mais com­ment les pro­tégés de la neige. A la fin, je me décide à pren­dre une valise. A Clarens, un ouvri­er casse les con­gères. Il m’indique le gym­nase. Les exa­m­ens de pre­mier niveau sont en cours. Je lorgne. Les experts sont instal­lés aux qua­tre coins de la salle. Cent per­son­nes font les exer­ci­ces en silence. Assis au sol, un Por­tu­gais révise. Lui aus­si passe la verte. A l’heure dite, nous sommes douze. Des gens de Fri­bourg que je con­nais, cer­tains sont des amis. Nous plaisan­tons — à vrai dire, nous ne sommes pas ras­surés.
Salut en ligne.
-Sortez les tapis, on va com­mencer par les roulades!
Sauter par-dessus un per­son­ne roulée en boule — bon. A gauche, à droite… Une fois je manque per­dre l’équili­bre, mais dans l’ensem­ble, le résul­tat est présentable.
-Main­tenant, plus haut!
Et que vois-je? Un escogriffe grand comme un réver­bère se posi­tionne devant le tapis, il se plie. Plié, il a le dos à la hau­teur de ma poitrine.
-Non, ça je ne peux pas.
Le type der­rière me pousse, c’est mon tour.
Je fais un pas, et bloque. C’est psy­chologique bien sûr, mais psy­chologique ou pas, je vais me rompre le cou. Alors, un des can­di­dats m’en­cour­age de quelques mots bien sen­tis — j’ou­blie lesquels- cela finit par …“suf­fit de se propulser avec les deux pieds!”. Mir­a­cle, je saute et je passe. Déjà les tapis sont retirés, la série des coups de pieds com­mence. Avec les parades, les dégage­ments d’étreinte et les étran­gle­ments, une heure et demi de fig­ures.
-Décon­tractez-vous, ce n’est qu’un exa­m­en.
La voix de l’ex­pert me parvient comme s’il s’agis­sait d’un écho. Je ne suis pas décon­trac­té, d’ailleurs je ne sais pas ce que ça veut dire “décon­trac­té”. “Détends-toi!” me dit mon parte­naire, alors que nous mon­trons les retourne­ments au sol. Il a rai­son et je suis désolé de faire un aus­si mau­vais parte­naire. Dur comme une planche, je ne lui facilite pas les démon­stra­tions. Force est d’ad­met­tre: je suis né con­trac­té et con­trac­té je suis, d’ailleurs ce n’est pas tout, je suis aus­si à court de souf­fle et suant, autant dire épuisé; vais-je tenir les deux heures? Ce n’est que vers la fin, quand com­men­cent les com­bats, que je me relâche quelque peu, mais alors la fatigue me sub­merge.
Peu après midi, nous sommes dans les douch­es. Un des can­di­dats panse son nez, un autre soigne sa lèvre; nous sup­pu­tons nos chances. Per­son­ne en crie vic­toire, mais cha­cun pense avoir ses chances. Une fois rha­bil­lés, les experts nous font met­tre ne ligne.
-Messieurs, la déci­sion est sim­ple et unanime… Nous n’avons pas vu ce que nous voulions voir.  Per­son­ne n’ob­tient le grade. Des questions?