Que certains aient pour préoccupation centrale de ne rien faire me fascine. Quelle valeur peut bien avoir le rien-faire lorsqu’il n’est pas apposé au faire?
Mois : octobre 2017
Thovil-Yakku (citation)
“Les grands archétypes spirituels de l’humanité recèlent des évidences oubliées. Ainsi, l’irrationnel, la télépathie et la clairvoyance ne sont que des reliquats très anciens de fonctions essentiellement animales qui suppléaient à des carences intellectuelles que nous avons pu combler au fur et à mesure de notre évolution, et que nous voyons disparaître. Les animaux en général ont conservé ces fonctions. Les chiens hurlent à la mort, refusent de manger parce que leur maître est décédé à huit cent kilomètres ou parce qu’il mourra le lendemain.”
Retour à la mer
Prévoyant, j’ai pris contact il y a deux jours avec une propriétaire de garage. Son annonce disait: “grandes places, voitures hors-gabarit et bateaux”. Elle m’attend devant l’immeuble. Pose des questions. Méfiance typique: bien… mais vous n’êtes pas espagnol? “Ah, vous habitez ici? Où?”. Je lui dis. C’est à cinq cent mètres. Son immeuble est au 159, le mien au 198 de la même rue.
-Je ne vois pas.
-En face de l’hôpital des urgence.
-Mm…
-La place de la Constitution, vous voyez?
-Quelle place?
Je sais, elle s’appelle “Al-Andalus”, mais les gens…
-Non… En tous, cas on est bien ici, c’est un des meilleurs endroits au monde!
Sauf qu’après avoir risqué trois fois d’emboutir la porte automatique et les pots de fleurs de l’allée, je renonce à garer mon tank. Autant dire qu’elle pensait à des bateaux de petite taille, chaloupe et canots..
Suisse
Au cours des dernières vingt années, j’aurais quitté la Suisse pour des raisons diverses. D’abord, après des années de squat en villa, afin d’éviter d’être logé en appartement, ce qui m’a toujours paru la plus grande des misères de notre siècle. Puis afin de distinguer entre le régime du travail et celui du loisir, achetant une maison en France, à soixante kilomètres de Genève. Mais hier, je voyais à l’évidence la raison qui en 2015 m’avait fait quitter Fribourg (et jusqu’ici sans le moindre velléité de retour): dans l’état actuel de notre société, il est impossible d’avoir confiance dans les inconnus avec qui nous sommes tenus de partager notre vie au quotidien. Les Espagnols, plus grégaires que les Suisses, ont gardé le bon sens. Certes, il sont fermés, xénophobes et peu cultivés, mais en tant qu’étranger, j’ai plus confiance dans n’importe quel Espagnol que dans ces gens du monde entier que contiennent nos rues suisses.
Espagne 2
Enchantement de la nature qui produit dans l’âme des effets inouïs car, contre toute attente et plus encore contre mes habitudes de caractère, arrêté un instant dans une station-service de Fuentes (village de pierre dans le coucher de soleil, arbres qui remuent en silence dans la brise), j’entreprends aussitôt la jeune fille qui me fait le plein et avec tant de spontanéité qu’elle me fait adieu du bout des doigts, un sourire gourmand au visage, se tournant pour voir si par hasard je ne changerais pas d’avis.
Espagne
Que je me souvienne, jamais je n’ai vu un aussi bel automne. Bien sûr, cela dépend des possibilités du paysage. De sa grandeur, de sa variété, de son isolement. La sensation de lumière, de matériaux détachés et voyageant dans cet espace immense qu’est la Castille centrale m’accompagne depuis plusieurs jours. Ainsi déployée, la nature ramène l’homme à sa modestie native que la ville toujours condamne.
Teruel
L’une des plus belles routes d’Espagne, la N‑330/N‑420 de Teruel à Cuenca. Après le haut plateau d’Aragon aux étendues rougissantes, la nationale plonge dans le lit du fleuve Turia qui coule vers le sud et Valence. Découpées en blocs poudreux devant l’horizon, les montagnes ont le profil des “monuments” du Colorado mais sur les berges qui lèchent la route pousse à foison une herbe verte et lumineuse. La voiture circule dans des méandres, rase une falaise creusée par endroits de main d’homme et qui fait un pont au-dessus du capot. Le premier village de cette vallée primaire se nomme Libros. Assis au pied des maisons, les habitants fixent par-dessus la rivière des chapelles enfouies dans les grottes. Puis la route monte brusquement pour atteindre la frondaison des arbres et ces arbres sont de toutes les variétés, soles dont le branchage traîne sur le flot, rangs de peupliers, petits chênes, sapins pointus. La route poursuit, tantôt encaissée et il faut alors lever les yeux pour attraper les taches de soleil qui dérivent contre les cheminées de fée, tantôt juchée sur la falaise et alors la vue embrasse le vallon. En même temps, je lis la carte crainte de manquer la bifurcation qui doit me ramener en Castille sauf rejoindre la Méditerranée (aidé par un Hollandais qui, plus admiratif que moi s’il est possible, conduit à 30km/h). A Torrebaja, la colonne de voitures se sépare. Je grimpe à travers le village, le paysage s’ouvre, c’est la Manche. La route est large, lisse et haute. Pendant une heure, je roule seul en direction des terres mortes et de ses grands effondrements (les Torcas). A l’occasion un tracteur décroche d’un village à demi-enterré, puis à nouveau les monts remplissent le ciel, verts, noirs et crayeux — j’ouvre grands les fenêtres, ils sont odorants. Pas de col, rien que des hauts et des bas, des rampes placées sur les côtes, cette lumière chatoyante des forêts d’automne et un sentiment d’infini.