L’une des plus belles routes d’Espagne, la N‑330/N‑420 de Teruel à Cuenca. Après le haut plateau d’Aragon aux étendues rougissantes, la nationale plonge dans le lit du fleuve Turia qui coule vers le sud et Valence. Découpées en blocs poudreux devant l’horizon, les montagnes ont le profil des “monuments” du Colorado mais sur les berges qui lèchent la route pousse à foison une herbe verte et lumineuse. La voiture circule dans des méandres, rase une falaise creusée par endroits de main d’homme et qui fait un pont au-dessus du capot. Le premier village de cette vallée primaire se nomme Libros. Assis au pied des maisons, les habitants fixent par-dessus la rivière des chapelles enfouies dans les grottes. Puis la route monte brusquement pour atteindre la frondaison des arbres et ces arbres sont de toutes les variétés, soles dont le branchage traîne sur le flot, rangs de peupliers, petits chênes, sapins pointus. La route poursuit, tantôt encaissée et il faut alors lever les yeux pour attraper les taches de soleil qui dérivent contre les cheminées de fée, tantôt juchée sur la falaise et alors la vue embrasse le vallon. En même temps, je lis la carte crainte de manquer la bifurcation qui doit me ramener en Castille sauf rejoindre la Méditerranée (aidé par un Hollandais qui, plus admiratif que moi s’il est possible, conduit à 30km/h). A Torrebaja, la colonne de voitures se sépare. Je grimpe à travers le village, le paysage s’ouvre, c’est la Manche. La route est large, lisse et haute. Pendant une heure, je roule seul en direction des terres mortes et de ses grands effondrements (les Torcas). A l’occasion un tracteur décroche d’un village à demi-enterré, puis à nouveau les monts remplissent le ciel, verts, noirs et crayeux — j’ouvre grands les fenêtres, ils sont odorants. Pas de col, rien que des hauts et des bas, des rampes placées sur les côtes, cette lumière chatoyante des forêts d’automne et un sentiment d’infini.