“La tache sur la moquette, ma foi, elle est là! Que voulez-vous? On est pas sur les sites, parce que les commentaires restent. Pourtant, elle n’est là que depuis l’année dernière cette tache!“
Sauf que, des taches, il y en a partout, le téléviseur menace de s’effondrer, le lit est maigre, le store dépeint et que je viens ici, à côté de l’église, au centre de Balaruc, car c’est l’endroit le plus sympathique de la région, avec son bassin à grenouilles, ses curistes d’un autre âge, le patron jovial qui parle de sa tache sur la moquette et de son voyage à Maurice, l’île, et me tend la clef du parking. Au téléphone, il a renchéri:
- Bien sûr que nous avons un parking, et sécurisé!
Je sais. C’est même ce qui, en plus de la cuisine, m’a décidé: les grilles de trois mètres autour du poarking.
-Seulement, il ne faut rien laisser sur la banquette!
- J’ai cinq cent kilos de matériel.
-Où ça?
-Dans le coffre.
-Mm… Venez toujours, je vous ferai mettre dans la cour.
Voilà pour la conversation au téléphone. Maintenant, le patron me tend une clef médiévale. Dix centimètres l’outil. Il m’explique comment rejoindre l’arrière-cour:
-Il faut faire le tour de Balaruc.
-Si vous ne me revoyez pas…
-Oh, hé, quand même! C’est Balaruc!
Malgré la caméra de recul, je peine à dégager la voiture pour l’aligner sur la route. Il faut dire que je n’ai pas l’usage du pare-brise arrière, il est comble. Un passant observe. Je prends mon temps. Il observe. A la fin, il me félicite pour la voiture. Je baisse la vitre.
-Dites donc, c’est quelque chose cet engin!
Un fois l’engin garé dans la cour de l’hôtel, je veux fermer la grille. Pour y parvenir je ne trouve qu’une solution, passer le bras à travers les barreaux et fermer depuis l’extérieur.
-Oui, dit la patron, on a graissé ce matin, mais il faudra qu’on graisse.
Aussitôt mes sacs à dos en chambre, je sors boire une bière. Même terrasse de café qu’en juillet, avec Gala.
-Désolé, je n’ai pas de verre d’un demi-litre.
La serveuse passe derrière le comptoir, revient.
-Je n’ai que des verres ronds de 0,40, sur pied.
En juillet, elle a vérifié et conclut de même.
A côté, un couple de vieillards élégant. Qui n’est pas un couple dans la vie. D’ailleurs, il flirte.
-Quarante-cinq ans de mariage, dit la femme.
-On a le temps de se connaître.
-Et plus on se connaissait, plus on s’aimait.
-C’est ça l’amour, la tendresse.
-Et hier soir, il y avait un film sur la bible.
-Oui, j’ai vu. Les dix commandements et Noé. Très bien. Parce que moi, les policiers, je m’endors.
A une autre table, une handicapée en chaise passe la commande.
-Une salade-repas et un steak haché.
-A point ou moyen le steak?
-Entre les deux.
-Alors à point.
A une troisième table, un gitan se met à chanter. Il chante faux, il a une voix de nez, mais ça vient du cœur. Sa femme le rabroue. Les autres l’encouragent. Il hésite et reprend. Comme il ne connaît pas d’autre chant, il se répète.