Excursion 3

Et donc, je suis désagréable. Insul­tant. Plein de mépris et de pitié. Dégoûté et hor­ri­fié. Com­ment en est-on arrivé là? Aus­si vite! A peine vingt ans. Aujour­d’hui, aus­si loin que porte le regard, pas un rivage où abor­der. Gala ne pipe mot. Elle finit pas admet­tre: “je ne crois pas que je pour­rais vivre ici”. Sa rai­son: “les avenues sont trop larges, je ne me sens pas bien dans ce genre d’ar­chi­tec­ture”. Je vais devant, les poings dans les poches, décou­vrant à chaque coin de rue ces faux bohèmes juchés sur tabourets, des plantes d’orne­ments pour bureau. Et en vit­rine, des objets de design, poufs en forme de sein, boîte de pral­inés Porsche ou lumi­naire en osier tressé du Mékong. Et pour les jeux de mots, ce trait d’in­tel­li­gence, voici : un bar à chignons (une coif­feur), un restau­rant-bro­can­teur… Pourquoi pas un den­tiste-garage ou une boulan­gerie-toi­lettes?  Mais non, tout cela sem­ble amuser les pas­sants. Qui défi­lent, achè­tent, achè­tent et défi­lent. Dans les parcs, affalés sur les bancs, les Arabes. Ils pal­abrent, fument, traî­nent, se lèvent, se ras­soient — ils atten­dent leur tour. Soudain, une Asso­ci­a­tion des sauveurs de la terre. Il sont cinq, en mis­sion. Vont de clochard en clochard, sor­tent des assi­ettes, pré­par­ent de la nour­ri­t­ure. Voici qu’ils abor­dent un groupe de punk (je me demande pourquoi on appelle cela des punks, aucun rap­port n’est-ce pas?). Les types sont ivres-morts, ils ne tien­nent pas debout, alors pour ce qui est de tenir une fourchette… Un peu déçus, les mandés leur remet­tent des sacs de bis­cuits pour leur chiens. Le spec­ta­cle de la merde rend agres­sif. Mai surtout, le déni me rend agres­sif. Car pour mas­quer leur désar­roi, les locaux promè­nent un air enchan­té. Autant dire que nous ne sommes pas tirés d’af­faire. Ces villes d’ou­ver­ture de paix et de métis­sage; de tolérance, de cul­ture, de com­mu­ni­ca­tion. Allons-donc! (Il y a quelques jours, suite aux émeutes anti-G20 de Ham­bourg, la prési­dente alle­mande a admis qu’il con­viendrait de tenir ces som­mets dans des lieux où nul ne pour­rait entraver leur bon déroule­ment- voilà pour la tolérance, cette panacée au ser­vice du con­trôle). “Quand repart-on?”, fais-je à Gala. Et dix min­utes, plus tard: “que fait-on ici? que fais-je ici? que peut-on bien faire ici?”. Quand je pense à nos villes suiss­es (petites, pra­tiques, quel­con­ques, mais plaisantes, conçues pour la vie), toutes con­tentes d’adopter ce car­naval dégénéré, ce nou­veau moyen-âge, ce brou­et uni­ver­sal­iste  — j’ai honte.