Dormi avec le désir de ne plus se réveiller; en même temps je pensais à Prague, à ce voyage que j’hésite à faire pour aller visiter l’exposition de mon ami et entre deux périodes de sommeil, dans la lumière blanche, se formait l’image de l’agence de voyages, au bout de la rue, après le grand mûrier qui coule son jus sombre sur les trottoirs de la promenade: hier déjà, la grosse dame disait, “ce sont les derniers billets à ce prix”. Je me rendors. La chaleur me réveille. Il fait 32 degrés. Gala est de mauvaise humeur. Tantôt, elle a mangé dans sa chambre, s’insurgeant contre ce climat tout-puissant. Je n’ai pas ce problème, jamais froid et je supporte la chaleur. Mais dormir, c’est autre chose: l’expérience du coma. Dans l’immédiat le coma me va très bien, il faut que je me débarrasse de cette fatigue accumulée, des heures d’écriture et des heures d’entraînement. Je me rendors. Il est huit heures quand je reprends vie, un petit vent balaie la plage. Je lui tourne le dos, quitte la ville et monte dans les collines. A mi hauteur, un giratoire renvoie les automobilistes vers la mer. C’est le cimetière. En fait un colombarium. Juché, peint à la chaux, blanc comme sucre. La même architecture de niches qu’au Mexique lorsque je grimpais du fond de la vallée de Guanajuato pour lire les noms des tombes en espérant trouver des mineurs morts dans le désastre de Marfil. Du giratoire, je m’engage dans les collines. Le chemin conduit à des villas abandonnées. Plus que cela, vandalisées (même les azulejos de la vierge qui baptisent l’entrée ont été triturés au tournevis). Des maisons construites sans permis que leurs propriétaires ont quittées encadrés par la garde civile. Ensuite, les voyous se sont fait la main. Je poursuis sur un sentier de ronces, de cactus et d’oliviers. A la fin, je donne sur une urbanisation de villas mitoyennes protégée de hauts murs. Cependant, le sentier se prolonge. J’atterris sur une terrasse privée, les chiens se déchaînent, je recule. Il y a une clôture. A force de chercher, je trouve un passage. Quelqu’un a cisaillé le treillis — génie habituel de l’ordre et du désordre. Je saute sur un parking où les enfants su quartier jouent à la balle, poursuit mon ascension, bute sur l’autoroute, traverse le quartier dans l’autre sens et aboutit devant le Lidl où je remplis mon sac à dos de bière.
Mois : mai 2017
Jeunes machines
Ces jeunes qui écrivent pour demander un conseil. Plusieurs le mois dernier. Ils parlent comme s’ils s’adressaient à une machine. La demande commence par une formule de politesse. Elle est rajoutée ou alors il s’agit d’un copié-collé — il y a des formes à respecter, ils les respectent. Puis la demande, le plus souvent sous forme de liste. Un, deux, trois… “Voici les trois choses qui m’intéressent”, écrit l’interlocuteur. Si vous ne répondez pas dans cet ordre ou ne répondez pas à l’ensemble des questions, ils se vexent. A leur yeux, vous ne fonctionnez pas correctement.
géolocalisation
Gala est au supermarché. Elle m’appelle:
-Je sors maintenant!
-Je finis mon paragraphe et j’arrive.
Vingt minutes plus tard, je suis sur le quai, au restaurant La Biznaga. Gala n’est pas là. Or, en ligne droite depuis le supermarché, il y a moins de cinq cent mètres. Je choisis une table, j’attends. Vingt minutes de plus. Je vais commander quand je vois Gala. Elle est à dix centimètres, elle me tourne le dos. Je l’entends qui marmonne “mais où est-il…?”. J’accroche son pull, elle se retourne.
- Mais enfin, il y a un moment que je suis là, s’écrie-t-elle, quand je suis arrivé tout était plein!
Elle désigne une table ronde à moins de deux mètres de la mienne. Table qui était vide quand je suis arrivé.
Fin
Mis à la poste les manuscrits. Le bureau se trouve à la sortie village. Il est marbré, frais et familial, ouvert jusqu’à la nuit; entre trois et sept, quand le village dort, des gens attendent là des colis sous le bras. C’est encore le matin, une dizaine de personnes discutent. Je tire une chaise et sors le livre que j’ai attrapé en sortant de l’appartement, Un paradigme de Billeter. L’attente peut se prolonger, je n’en ai cure; il y a des mois que je ne lis plus pour le plaisir. D’ailleurs, je suis mieux assis dans la salle de poste que dans ma chaise à roulettes qui, à force d’y passer six à sept heures par jour, s’est déformée — il faudra la mettre à la benne. Les meilleurs moments depuis le début du travail ne mars 2016 auront été le travail sur l’essai autour de la question du libéralisme l’été dernier à Munich et les matinées que je passais à la plage, en janvier, sur la table de pique-nique, à ajouter des chapitres au roman; le temps le plus pénible, celui des corrections. Alors le texte apparaît pour ce qu’il est, mauvais. Il donne du fil à retordre. Chaque phrase coûte, l’équilibre menace de se rompre… C’est mon tour. Je passe au guichet, l’employé pèse la lettre. Il demande Fr. 25.- Pour me montrer qu’il n’exagère pas, il tourne la balance, indique le poids. J’achète une truelle chez un Chinois (voilà trois mois que je veux gratter les couleurs que les peintres ont laissé sur le terrasse) puis je vais chez les frères maraîchers. Lundi, j’ai fait de la confiture d’abricots, aujourd’hui je vais essayer avec des fraises. Je ressors avec des oranges, deux tomates cœur de bœuf et un kilo de cerise d’Alfarnate.
Electrototalitarisme (suite)
Ces gens malfaisants, coalisés, banals. Ces gens qui ne manqueront jamais d’affirmer avec fierté, parce qu’il sont des subalternes au service d’un dieu machinique et que leur devoir vaut salaire : “je suis banquier”, ces gens viennent une fois de plus, moi qui croyais avoir vécu la pire intromission dans mes affaires privées lorsque je vivais dans un trou en France — Bellegarde dans l’Ain (afin que les avertis sachent quel pièges éviter) — ces gens disais-je, espagnols pour l’occasion, mais la banque n’a pas de nation, ces gens viennent d’interdire mon compte! Et de quoi est-ce que je me plains? De ce que l’on m’exclut d’un service obligatoire! Car sans banque pas d’eau ni d’électricité. Or, j’ai les avis de coupure sous les yeux.
Union
Et si l’union faisait enfin la force? Et si, par la grâce du capital surconcentré et de l’outillage numérique la critique réflexive était définitivement hors-jeu. Toujours là, de plus en plus visible même, les contestataires ressemblent à des marionnettes dont on montre les tours.
Curry
Avant de me rendre au festival de la bière artisanale de l’Axarquie, je cuisine un curry. Après avoir râpé le gingembre frais sur le poulet, je saupoudre de jaune. Mon mélange a vingt ans. Un israélien d’une secte minoritaire de Punah m’en a fait cadeau quand il a appris qu’Olofso et moi ne venions pas dans le Maharasthra pour intégrer l’ashram Osho. Le geste est un peu vif, je déborde sur le marbre. Après avoir mangé mon plat, je nettoie la cuisine — impossible. Je frotte et je frotte. Le plan est jaune, il est fichu.