Mois : décembre 2016

Succès

Un livre qui ren­con­tre le suc­cès assigne à son auteur une tâche douloureuse: iden­ti­fi­er les caus­es de ce suc­cès et les détru­ire. L’am­bi­tion de l’œuvre — et par là je n’en­tends rien d’autre que le tra­vail d’écri­t­ure — est à ce prix. 

Art

Dans la gare du bord de mer se tient une expo­si­tion de pein­ture. Les vraies nour­ri­t­ures spir­ituelles de l’Es­pagne sont de la par­tie: une table de la loterie nationale et la dif­fu­sion en direct des matchs de foot.

Du mou

Faute de se pro­cur­er un film à bon compte sur inter­net, je me rabats hier sur une comédie poli­cière tournée en 1967 qui met en scène Bernard Bli­er et Jean Lefeb­vre, Du mou dans la gâchette. Les com­pères assas­sins se baladent dans une cité nou­velle à bord d’une lim­ou­sine améri­caine ailée, peut-être une Oldsmo­bile. Daté, le film sur­prend par trois car­ac­tères au moins que les réquisits hol­ly­woo­d­i­ens ont depuis neu­tral­isés. Le rythme d’abord. Il est humain. Il rend à la parole la place qui devrait être la sienne en société. L’en­vi­ron­nement ensuite. Mod­erne, exhibé comme tel, il est encore peu machinique: les hommes côtoient des femmes qui côtoient des hommes. Enfin, la psy­cholo­gie des per­son­nages. Elle est erra­tique plutôt qu’in­scrite de force dans la trame du scé­nario. Par ailleurs, on s’a­muse rétro­spec­tive­ment de l’ad­mi­ra­tion naïve que le France de ces années pré-révo­lu­tion­naires porte aux Améri­cains et de la vision plus naïve encore d’une moder­nité enchantée.

Presse

Excel­lent arti­cle de Julien Bur­ri dans l’Heb­do sur Con­stance, guide touris­tique à l’usage des aveu­gles, ou plutôt sur son auteur. Il dit ce qu’il faut savoir pour demeur­er dans l’in­com­préhen­sion et par-là même ren­voie utile­ment à la lec­ture, l’u­nique pro­pos d’un écrivain étant qu’on le lise.

Signalétique andalouse

Sur le pan­neau munic­i­pal indi­quant le cimetière, les trois croix. Celle du Christ, celles des lar­rons. Direc­tion du cimetière et direc­tion morale.

Cadix

Ville éton­nante et belle que Cadix. La route longe un sys­tème de dunes. Sur le ver­sant opposé s’é­tend l’eau de la mer intérieure. Puis vient la ville. Mod­erne d’abord, his­torique au bout de l’isthme. Notre hôtel est entre ces deux quartiers. Son nom, Puer­tatier­ra. Mod­erne, pré­cisons: comme l’é­taient les villes ouvrières dans les années 1960. De fait, les con­struc­tions datent de cette époque. Mas­sives et car­rées, entre palais admin­is­trat­ifs, douanes mar­itimes et caserne­ments. Sor­tis de l’hô­tel, nous butons sur une tour de con­trôle qu’en­vierait n’im­porte quel aéro­port inter­na­tion­al. En con­tre­bas, sur la plage jaune, des surfers. Plus loin, il faut pass­er une muraille pour descen­dre vers les quartiers anciens. Sur les bal­cons vit­rés pend de la lessive. Les rues en quadrillage aboutis­sent sur des places qui ont leurs orangers. Pour accéder aux étages des maisons, le locataire tra­verse des cours de mar­bre et de faïence. L’été, ce labyrinthe doit être ravissant. 

En route

Descen­du la côte en direc­tion de Cadix. Une pluie tor­ren­tielle ralen­tit le traf­ic. L’au­toroute tra­verse un décor qui évoque Mex­i­co et Pat­taya. Bâtis à quelques mètres de la glis­sière de sécu­rité, défi­lent des snacks et mag­a­sins aux façades peintes. Au-dessus, trô­nent les cités satel­lites. Les plus mod­estes comptent cinquante loge­ments. Cer­taines en ont dix fois autant. Des forêts d’en­seignes recou­vrent ces ter­mi­tières. La plu­part affiche des noms rêveurs: Copaca­bana, Golf par­a­di­sio, Playa oca­so. Et à leur pied, Excel­lent fur­ni­ture, Fich&chips, Bar Not­thingam.
Ado­les­cent, lorsque je con­dui­sais sur les huit pistes en désor­dre du périphérique de Mex­i­co, je me demandais com­ment sor­tir de ce goulot ceint de murs. Ici, ras­ant les vil­las de vacances des gens du Nord, je me demande com­ment font les esti­vants pour gag­n­er la mer. Est-ce qu’ils tra­versent? Roulent-ils des heures pour attein­dre cette plage qui pen­douille sous leur bal­con?
Passés Tor­re­moli­nos, Mar­bel­la et Puer­to Banuz, le décor perd en den­sité. Les grues rouil­lent au-dessus des parcs de vil­las à l’a­ban­don, les hangars sont troués, les réver­bères osseux.
Aux envi­rons de la Línea (la ligne), le vil­lage lim­itro­phe de Gibral­tar, nous quit­tons la A7 pour pénétr­er dans une ville nou­velle. Les rues trans­for­mées en ruis­seaux ralen­tis­sent notre pro­gres­sion. Je manque un gen­darme couché, la Dacia pique dans le fos­sé. Je redresse, con­duis le vis­age con­tre le pare-brise pour anticiper les obsta­cles. Soudain, un pan­neau annonce une Route culi­naire et gas­tronomique. Requin­qués, nous roulons. Au bout de dix min­utes, il faut renon­cer. Pour la pre­mière fois depuis que je voy­age en Espagne — cela remonte à l’an­née 1975, il y a quar­ante et un ans- nous ne voyons ni bar ni restau­rant.
Vingt kilo­mètres plus au Sud, nous prenons place dans la salle de cafe­te­ria d’une sta­tion ser­vice entre des policiers et des chauf­feurs de poids lourds maro­cains en route pour Algé­ci­ras. Nous pas­sons par Tar­i­fa. Change­ment d’am­biance. Des chevaux s’é­bat­tent sur les ter­res inondées, des chemins rec­tilignes coupent à tra­vers les près, de vastes hacien­das sont posées sur la lande. Per­chés sur des mon­tagnes de terre ocre, les vil­lages sont blancs. Vejer de la Fron­tera sem­ble accroché au ciel. Puis nous fran­chissons un col avant d’en­tr­er dans le domaine des éoli­ennes. Elle héris­sent par cen­taines les collines. Mon­tées sur des mâts gril­lagés, les hélices anci­ennes sont tor­dues comme de la réglisse. Les autres, fuselées et bril­lantes, tour­nent à grand régime. Enfin, à la tombée du jour, nous emprun­tons le bras de terre qui amène à la presqu’île de Cadix

France-Culture

“Tu ne crois pas si bien dire, désor­mais France-Cul­ture a un suc­cès for­mi­da­ble! La sta­tion est passée au bleu! Les filles se bat­tent pour partager le lit des ani­ma­teurs! D’ailleurs, le sys­tème de réser­va­tion ne va pas tarder à don­ner de l’aile. Aupar­a­vant, ces gens géraient Airbnb. Ils ne pen­saient pas avoir à répon­dre à pareille demande! Ce n’est pas tout: comme dis­ent les logi­ciels de jeu, vous avez encore plusieurs niveaux à pass­er.“
Une par­tie de la nuit, j’ai répété ce texte comme si je cher­chais à le trans­met­tre sur les ondes.