Mois : décembre 2016

Escargot

De tous les ani­maux, l’escar­got est le plus émou­vant. Con­scient du regard enfan­tin qu’im­plique une telle affir­ma­tion, je ne m’en défends pas. Car c’est bien sûr à la coquille que j’en ai. Ram­pant à la ver­ti­cale d’un mur, je voy­ais tan­tôt un escar­got dont la coquille ne tenait au corps gélatineux que par une excrois­sance. Le fardeau tirait vers le bas tan­dis que le gastéropode gag­nait le ciel. Les sym­bol­es ont leur poids dans la récep­tion des animaux.

Sens

L’an­née deux mil seize touche à sa fin. Les doigts d’une main suff­isent à compter les dis­cus­sions que j’ai eues pen­dant ce temps. Certes, je tiens mes dis­tances, joue en coulisse et démé­nage sans rai­son, mais le fait pointe aus­si sur le statut à venir de la parole: l’opéra­bil­ité mécanique des com­mu­ni­ca­tions s’ac­com­pa­gne d’un dés­in­térêt pour le sens.

Barbe 2

Ce qui indique que le pro­jet d’ex­ten­sion infinie du cap­i­tal ne nég­lige aucun marché. La mode de la barbe longue a relancé l’of­fre des coif­feurs. La crois­sance accom­pa­g­née des barbes et la dif­fi­culté d’en­tre­tien per­me­t­tent la fidéli­sa­tion du client. Les bar­bus investis­sent dans leur barbe.

Barbe

Je lui mets un couteau à la gorge.
- Atten­tion à ma barbe, me dit-il, elle me coûte cher! 

Projet

Il avait pour pro­jet d’en­reg­istr­er le silence sur disque. A cet effet, il lui faudrait plac­er ici et là de légers bruits. Une ques­tion le tra­cas­sait: quels bruits et com­bi­en de bruits pour faire enten­dre le silence?

Napalm

Napalm Death. Je fais ce que je fais. Je fais ce que je veux. J’ex­iste, je suis (depuis 1980).

Versatiles

Chang­er d’opin­ion, il le faut. Puisque le sens n’est pas don­né, le change­ment fait loi. Mais ce change­ment doit être référé a des motifs intimes. Sa rai­son repose sur la réflex­ion. Des change­ments d’opin­ion qui sont autant de manières de s’ac­corder aux motifs du groupe, il faut se méfi­er absol­u­ment. Or, nous sommes à un moment charnière. Nos sociétés de masse on porté avec autorité depuis vingt ans des motifs qu’elles ont par choix tac­tique don­nées pour uni­verselles. Innom­brables les indi­vidus qui les ont adop­tées sans autre cri­tique leur octroy­ant ain­si la force de prop­a­ga­tion néces­saire. Ceux-là, s’ap­prê­tent à chang­er d’opin­ions. Ils atten­dent la nou­velle fournée. Ils doivent être pris dans l’acte.

Mil neuf cent soixante-huit

Ces gens qui au cours d’un print­emps se sont amusés à penser la révo­lu­tion alors qu’ils n’ap­parte­naient à la société ni par le tra­vail ni par les actes, arrivés au pou­voir quar­ante ans plus tard, se sont amusés à pren­dre des décisions.

Dantec

“[…] la démoc­ra­tie cul­turelle aura surtout per­mis de fab­ri­quer des tonnes de con­fi­ture à la chaîne, pour nour­rir des bat­ter­ies de cochons.“Maurice. G. Dan­tec, Le théâtre des opéra­tions.

Eaux

Après une courte nuit ponc­tuées de réveils (logé dans la cham­bre à couch­er de son maître, le chien du voisin aboie), je com­mande un taxi. Le ciel est gris, il pleut. Le départ du marathon est prévu pour neuf heures. En route pour Mala­ga, je scrute le large. Les avers­es cesseront avec le jour, affirme la météo. Le chauf­feur dément. Il cul­tive des mangues dans les collines de Bena­gal­bon et entre­tient un puits. Il con­naît son sujet.
- Voyez cette nuée claire? Il tombe des vers­es sur le cen­tre-ville.
Près de la place de tau­reaux, la vis­i­bil­ité baisse. Sur la chaussée, l’eau abonde. Un par­ti­c­uli­er enclenche ses feux de détresse et aban­donne sa voiture. Nous pro­gres­sons à petite allure le long de la plage. Quant au le cir­cuit de la course, bal­isé avant l’aube, il est en pagaille. Le vent chas­se les cônes, l’eau les emporte. Le taxi me dépose sur l’Alame­da. En hau­teur, les palmiers fou­et­tent. Je passe un imper­méable et cours me réfugi­er sous l’Au­di­to­ri­um du jardin des plantes. Deux coureurs m’ont précédé. Je m’échauffe. Un clochard qui dort dans un sac perd sa bouteille de vin. Il la rat­trape et se ren­dort. Demi-heure avant l’en­voi de la course. Les plus téméraires sautil­lent sur la grille de départ. Les shorts, les mail­lots, les dos­sard, tout ruis­selle. Pen­dant ce temps, l’or­gan­i­sa­tion con­solide l’arche gon­flable qui men­ace de s’en­v­ol­er. Au micro, l’an­i­ma­teur annonce cinq mille par­tic­i­pants. De l’Au­di­to­ri­um, j’en compte une petite cen­taine. L’abri ne se gar­nit pas; or, nous sommes à quelques mètres des box­es. La pluie redou­ble. Le mieux sera de cacher l’im­per­méable sous un four­ré pour le récupér­er au retour. Puis de se poster der­rière le lièvre au denier moment. A neuf moins dix, une annonce: le départ de neuf heures est annulé. L’or­gan­isa­teur explique, ce n’est pas la pluie qui tombe, mais la pluie qui stagne, plusieurs sec­tions de la ville sont imprat­i­ca­bles. Prochaines nou­velles dans trois quart d’heure pour un départ reporté à 10h30. J’in­ter­roge le ciel, puis m’élance: je ren­tre à la mai­son. Sor­tir du parc est dif­fi­cile, je marche sur des ruis­seaux. Je m’en­gage sur le quai. Vit­ri­fié d’eau, il patine. Les rares voitures sont per­cep­ti­bles à leurs phares. Lorsqu’elles passent à ma portée, elles éclaboussent jusqu’au ciel. De l’autre côté c’est la plage. Les pail­lotes sec­ouent, le sable danse. Quant à la mer, elle est rouge. Les canaux qui descen­dent de la mon­tagne évac­uent le sang des ter­res sèch­es. Les mou­ettes s’af­fo­lent. Huit kilo­mètres plus loin, une voiture de police coupe la route. Je con­tin­ue, seul, les pieds dans l’eau, au milieu de la grande artère qui con­duit à Tor­rox et Ner­ja. Un homme évac­ue à grands coups de seau la flotte qui noie son salon. Je cherche mon pas­sage. Par endroits, j’en­fonce jusqu’à la cheville. Soudain, un respon­s­able du marathon se détache d’un mur.
-C’est pro­fond?
-Oui.
Pas très gen­til de ma part, puisque cela pour­rait décider de l’an­nu­la­tion du marathon, mais main­tenant que j’ai renon­cé, n’est-ce pas? L’or­gan­isa­teur se penche pour voir. Après tout, qu’il se mouille! Qu’il juge par lui-même! Et d’ailleurs, ne suis-je pas passé? Je le salue et pour­su­is ma route. Un groupe de jeunes fait signe. Des bénév­oles qui tien­nent un rav­i­taille­ment.
- La route est coupée!
Ils me font répéter, puis tous:
-Elle est coupée, la route est coupée.
Tan­dis que je file en direc­tion de la falaise, je vois les gens qui remuent sous l’abribus. Ils ont enten­du, ils se deman­dent que faire.
Une demi-heure plus tard, j’en­tre dans notre apparte­ment, je con­sulte le site du marathon: annulé.