Après une courte nuit ponctuées de réveils (logé dans la chambre à coucher de son maître, le chien du voisin aboie), je commande un taxi. Le ciel est gris, il pleut. Le départ du marathon est prévu pour neuf heures. En route pour Malaga, je scrute le large. Les averses cesseront avec le jour, affirme la météo. Le chauffeur dément. Il cultive des mangues dans les collines de Benagalbon et entretient un puits. Il connaît son sujet.
- Voyez cette nuée claire? Il tombe des verses sur le centre-ville.
Près de la place de taureaux, la visibilité baisse. Sur la chaussée, l’eau abonde. Un particulier enclenche ses feux de détresse et abandonne sa voiture. Nous progressons à petite allure le long de la plage. Quant au le circuit de la course, balisé avant l’aube, il est en pagaille. Le vent chasse les cônes, l’eau les emporte. Le taxi me dépose sur l’Alameda. En hauteur, les palmiers fouettent. Je passe un imperméable et cours me réfugier sous l’Auditorium du jardin des plantes. Deux coureurs m’ont précédé. Je m’échauffe. Un clochard qui dort dans un sac perd sa bouteille de vin. Il la rattrape et se rendort. Demi-heure avant l’envoi de la course. Les plus téméraires sautillent sur la grille de départ. Les shorts, les maillots, les dossard, tout ruisselle. Pendant ce temps, l’organisation consolide l’arche gonflable qui menace de s’envoler. Au micro, l’animateur annonce cinq mille participants. De l’Auditorium, j’en compte une petite centaine. L’abri ne se garnit pas; or, nous sommes à quelques mètres des boxes. La pluie redouble. Le mieux sera de cacher l’imperméable sous un fourré pour le récupérer au retour. Puis de se poster derrière le lièvre au denier moment. A neuf moins dix, une annonce: le départ de neuf heures est annulé. L’organisateur explique, ce n’est pas la pluie qui tombe, mais la pluie qui stagne, plusieurs sections de la ville sont impraticables. Prochaines nouvelles dans trois quart d’heure pour un départ reporté à 10h30. J’interroge le ciel, puis m’élance: je rentre à la maison. Sortir du parc est difficile, je marche sur des ruisseaux. Je m’engage sur le quai. Vitrifié d’eau, il patine. Les rares voitures sont perceptibles à leurs phares. Lorsqu’elles passent à ma portée, elles éclaboussent jusqu’au ciel. De l’autre côté c’est la plage. Les paillotes secouent, le sable danse. Quant à la mer, elle est rouge. Les canaux qui descendent de la montagne évacuent le sang des terres sèches. Les mouettes s’affolent. Huit kilomètres plus loin, une voiture de police coupe la route. Je continue, seul, les pieds dans l’eau, au milieu de la grande artère qui conduit à Torrox et Nerja. Un homme évacue à grands coups de seau la flotte qui noie son salon. Je cherche mon passage. Par endroits, j’enfonce jusqu’à la cheville. Soudain, un responsable du marathon se détache d’un mur.
-C’est profond?
-Oui.
Pas très gentil de ma part, puisque cela pourrait décider de l’annulation du marathon, mais maintenant que j’ai renoncé, n’est-ce pas? L’organisateur se penche pour voir. Après tout, qu’il se mouille! Qu’il juge par lui-même! Et d’ailleurs, ne suis-je pas passé? Je le salue et poursuis ma route. Un groupe de jeunes fait signe. Des bénévoles qui tiennent un ravitaillement.
- La route est coupée!
Ils me font répéter, puis tous:
-Elle est coupée, la route est coupée.
Tandis que je file en direction de la falaise, je vois les gens qui remuent sous l’abribus. Ils ont entendu, ils se demandent que faire.
Une demi-heure plus tard, j’entre dans notre appartement, je consulte le site du marathon: annulé.