Navarre

Don Gabriel est mon­té en voiture. Passé le pont, la route ser­pente à flanc de rocher. Sur deux kilo­mètres, il n’y a plus que de la pierre, du bois, de l’eau. Nous sommes restés dans ce vil­lage de vingt maisons ser­rées entre l’église, le bâti­ment munic­i­pal et une piste de pelote basque. Je m’en­tendais respir­er. Cela m’a plus. J’ai pris Gala par la main et nous avons emprun­té l’une après l’autre les échap­pées. Toutes don­nent sur les champs excep­té celle dont la pente finit sur la berge. Là com­mence un chemin. Les cloches à bétail con­tin­u­aient de tin­ter dans les hau­teurs. A chaque pas, je me dis­ais: “bien, très bien”. En même temps, je cal­cu­lais le prix, mod­este; la dis­tance, énorme; l’éloigne­ment, idéal. Et cette terre dont j’ig­nore tout mais qui sem­ble don­ner des choux, des salades, des patates. Si tout est à ven­dre, à remar­qué Gala, il doit y avoir un prob­lème. Elle sug­gérait je ne sais quelle calamité. J’ai ouvert les bras et j’ai mon­tré le vil­lage: “que veux-tu que les gens fassent ici? Longtemps que le tra­vail a fui”. Sur une façade aux volets clos, un pan­neau indi­quait un numéro de télé­phone. Une voix hési­tante a répon­du. J’ai expliqué que j’ap­pelais pour la vente.
-Quand pour­riez-vous venir?
-Je suis devant le pan­neau.
Deux chats se sont poussé le long du mur, quelque chose à remué der­rière le mur de façade. Un homme habil­lé de bleu et coif­fé d’un bon­net est apparu. Rubal­ca­ba, ex-min­istre du gou­verne­ment social­iste, avait le poil beige; Rajoy, actuel prési­dent d’Es­pagne, le poil noir. J’ai caressé le chat noir. Le beige m’a grif­fé au doigt. L’homme au bon­net s’est excusé.
- Il vient de l’autre côté de la mon­tagne. C’é­tait la bête du chas­seur. Mais comme le type ne fai­sait que chas­s­er, il a émi­gré. Le voici. Avec moi.
Et il a fait signe d’en­tr­er. Il y avait là un apparte­ment com­plet, restau­ré au mil­limètre, ver­nis, fleu­rant bon l’en­caus­tique.
-Tout est neuf, dit l’homme.
Faisant l’ar­ti­cle:
-Jamais rien n’a servi.
-Vous vendez?
-Oui. Enfin, peut-être. Vous savez… Moi, avec tous ces poli­tiques. Pour qu’ils me volent le pro­duit de la vente. Venez voir la suite.
Car il y avait une suite, mais elle n’é­tait pas reliée. Nous sommes ressor­tis. Cette fois, je n’ai caressé que le chat noir. Mon doigt con­tin­u­ait de couler. Nous avons fait le tour du bâti­ment avant d’en­tr­er par une autre porte. Même soin apporté à ce nou­v­el apparte­ment. Tout était fait, y com­pris les lits, comme si une famille riche de Saragosse devait être accueil­lie dans la journée et logée selon les critères du con­fort urbain. Je jetais un œil par la fenêtre. Nous étions bien dans le même vil­lage, médié­val, rus­tique, tout de pierre con­stru­it. Les pièces n’avaient rien à envi­er aux recon­sti­tu­tions his­toriques d’un musée. Et puis, à force d’anec­dotes, de con­fi­dences et de cri­tiques acerbes con­tre l’E­tat, nous avons sym­pa­thisé et l’homme en bleu, Felipe, a décidé de nous faire vis­iter le reste du vil­lage. Il était né dans la mai­son où nous étions. Tra­vail­lait-il? Non. Pour la même rai­son tou­jours. Ne pas engraiss­er les cor­rom­pus. avant de quit­ter l’ap­parte­ment, il désigna les radi­a­teurs, le ther­mo­stat, un out­il­lage dernier cri. Et deux stères de bouleau coupé fin.
-Moi, je préfère chauf­fer avec ça.
Il nous a emmené à la riv­ière. De là, nous sommes mon­tés sur la colline. Désor­mais, le toit de l’église était à nos pieds. Il a ouvert la grille d’une pro­priété.
-Là, c’est un Ecos­sais. Vous pour­riez vous y installer, il ne vient jamais.
Gala était ent­hou­si­aste. Je l’ai freinée:
-Trop lux­ueux.
Main­tenant, nous voyions enfin les vach­es. Elles occu­paient le mon­tagne du chas­seur, au-dessus du lit de la riv­ière. J’ai imag­iné le chat. Il avait franchi ce som­met pour attein­dre Agrabue. L’an­i­mal parais­sait bien petit pour une telle prouesse.
Au moment de se sépar­er, Felipe a dit son nom:
-Piedrafi­ta. Mes aïeuls venaient de l’autre côté des Pyrénées. On m’a dit qu’il y avait des Pier­refit là-bas.
Et il nous a remis la carte de vis­ite de l’E­cos­sais.
-Des années que je ne le vois plus. Il faut que je lui répare son tuyau d’ar­rosage.
Nous avons appelé. C’é­tait un médecin de Glas­gow. Un chirurgien. Il a décroché avant d’ex­pli­quer qu’il était en Afrique et qu’il entrait en salle d’opéra­tions. “Vous pou­vez me rap­pel­er?”