Navarre 2

Main­tenant la nuit tombait. Dans ce vil­lage de vingt-huit habi­tants, il y avait un bar. Nous avons pris place au comp­toir. Entre vieil­lards, enfants et petit-enfants, dix per­son­nes patien­taient devant une table mise. Gala frig­ori­fiée me récla­mait une soupe. La Navarre, je ne sais pas, mais l’Es­pagne, ce n’est pas le pays de la soupe. Elle répé­tait “soupette!”. J’ai com­mandé de la bière, j’ai ques­tion­né la patronne. Aidée par son grand-père, une gosse avalait un bouil­lon de pâtes au moyen d’une cuil­lère d’ar­gent.
-Désolé, a fait la patronne, tout ce que ces gens vont manger a été com­mandé.
Alors, buvant nos bières con­tre le feu, nous avons regardé la famille avaler des crevettes, du riz, des piments, du porc et un demi-san­gli­er. Puis nous avons ser­pen­té à tra­vers la mon­tagne pour regag­n­er la val­lée. A dix kilo­mètres, dans un vil­lage de chalets et d’im­meubles de ski, nous avons trou­vé une auberge tenue par des hip­pies. Des bro­chettes de poulet traî­naient sur le comp­toir. La fille les a réchauf­fées. Elles étaient tièdes, cori­aces, salées et sucrées. L’en­seigne annonçait Estrel­la Gali­cia. D’après mes théories (du moins à ce jour),  la meilleure pres­sion d’Es­pagne. J’ai donc com­mandé et com­mandé encore. Un deux, qua­tre, cinq litres. Un berg­er alle­mand se prom­e­nait entre les jambes des clients, de la musique rock jouait. Un des mem­bres de la fratrie avait cloué aux murs des vinyles new-wave. Echo and the bun­ny­men, Devo, Stran­glers. J’au­rais pu lui com­menter cha­cun des titres de ces dis­ques. J’ai essayé. Il m’a dévis­agé l’air amusé. De quoi pou­vais-je bien être en train de causer? A minu­it, nous sommes mon­tés dans la cham­bre. En bas, la fête durait. A qua­tre heures les hip­pies ont passé Israël de Siouxsee.. Les tam­pons de cire n’y suff­i­saient pas. Le matin, nous étions en pleine forme. A dix heures, nous avions l’estom­ac retourné. A midi, nous étions aux affres. J’ai lais­sé Gala devant un thé et je suis retourné à Agrabué.