Maintenant la nuit tombait. Dans ce village de vingt-huit habitants, il y avait un bar. Nous avons pris place au comptoir. Entre vieillards, enfants et petit-enfants, dix personnes patientaient devant une table mise. Gala frigorifiée me réclamait une soupe. La Navarre, je ne sais pas, mais l’Espagne, ce n’est pas le pays de la soupe. Elle répétait “soupette!”. J’ai commandé de la bière, j’ai questionné la patronne. Aidée par son grand-père, une gosse avalait un bouillon de pâtes au moyen d’une cuillère d’argent.
-Désolé, a fait la patronne, tout ce que ces gens vont manger a été commandé.
Alors, buvant nos bières contre le feu, nous avons regardé la famille avaler des crevettes, du riz, des piments, du porc et un demi-sanglier. Puis nous avons serpenté à travers la montagne pour regagner la vallée. A dix kilomètres, dans un village de chalets et d’immeubles de ski, nous avons trouvé une auberge tenue par des hippies. Des brochettes de poulet traînaient sur le comptoir. La fille les a réchauffées. Elles étaient tièdes, coriaces, salées et sucrées. L’enseigne annonçait Estrella Galicia. D’après mes théories (du moins à ce jour), la meilleure pression d’Espagne. J’ai donc commandé et commandé encore. Un deux, quatre, cinq litres. Un berger allemand se promenait entre les jambes des clients, de la musique rock jouait. Un des membres de la fratrie avait cloué aux murs des vinyles new-wave. Echo and the bunnymen, Devo, Stranglers. J’aurais pu lui commenter chacun des titres de ces disques. J’ai essayé. Il m’a dévisagé l’air amusé. De quoi pouvais-je bien être en train de causer? A minuit, nous sommes montés dans la chambre. En bas, la fête durait. A quatre heures les hippies ont passé Israël de Siouxsee.. Les tampons de cire n’y suffisaient pas. Le matin, nous étions en pleine forme. A dix heures, nous avions l’estomac retourné. A midi, nous étions aux affres. J’ai laissé Gala devant un thé et je suis retourné à Agrabué.