Mois : décembre 2016

Examen de nuit

Penchés sur leurs pupitres les can­di­dats sont au tra­vail, je fre­donne. Enfin, j’ap­pelle le maître. Il me remet le devoir. Sujet à choix. Com­menter les réformes sociales dans les pop­u­la­tions andines de Bolivie ou établir la chronolo­gie des guer­res napoléoni­ennes. Dans le pre­mier cas, le texte est en anglais. Il reste cinq minutes.

Flûte

A l’aube, alors que tout le quarti­er dort, la fille du voisin répète un morceau de flûte.

Talent d’organisation

La mémoire courte étant le meilleur allié du pou­voir, on oublie de dire que dans nos sociétés ratio­nal­isées au prix d’un effort intense de civil­i­sa­tion les inno­cents n’é­taient pas vic­times d’as­sas­si­nats et que, dans les rares cas où ils se pro­dui­saient, ils rel­e­vaient de la folie clin­ique. Les mas­sacres d’in­no­cents qui ensanglantent nos sociétés depuis quelques années sont d’une util­ité poli­tique évi­dente pour un pou­voir con­testé et dans leur con­fig­u­ra­tion ren­voient aux capac­ités tech­niques et idéologiques d’une société haute­ment rationalisée.

Economie et rêve

Voyez-vous, expli­quai-je à cet appren­ti écon­o­miste, tout le pro­grès tient à la valeur ajoutée. Prenez une voiture de luxe. Une par­tie de ce qu’elle con­tient est inutile. C’est ce qui fait sa valeur. C’est aus­si la rai­son pour laque­lle partout dans le monde des pirates indus­triels cherchent à pro­duire des con­tre­façons de cette voiture. Ils imi­tent ce qui a de la valeur. Et ain­si, il y a pro­grès. Main­tenant prenez une voiture qui n’est que ce qu’elle est. Une Dacia ou, encore mieux, une Tra­bandt. Tout ce qu’elle con­tient cor­re­spond à une fonc­tion. Il n’y a rien d’autre. Inutile de l’imiter.
Jusque là, le raison­nement est abra­cadabrant, mais il s’ag­it d’un rêve, je dis­coure en rêve. Pour quelle con­clu­sion? Celle-ci:
Il est facile de dis­tinguer entre une société libre et une société total­i­taire. Toutes les sociétés qui ont des voitures du type de la Tra­bandt ou de la Dacia, sont des sociétés total­i­taires. Comme ces voitures ne con­ti­en­nent aucune plus-val­ue et ne sont que ce qu’elles sont, le présent est éter­nel, rien ne change, il n’y a pas de progrès. 

Fin d’année

A l’in­stant, belle course le long de la plage. Le bord de mer est calme. Quelques braseros allumés. Les autres gar­gotes ont empilé tables et chais­es. Au pas­sage, je me demandais ce que pou­vait faire pen­dant l’hiv­er cet homme de cent kilos qui en sai­son cuit du matin au soir des crus­tacés. Trois para­sols de palme cou­vrent son poste. Je pour­su­is ma course. Un groupe d’alle­mands voy­ageant en mobil­home a tiré des chais­es-longues sur le sable. Les Espag­nols défi­lent avec écharpes et bon­nets. Il fait dix-huit degrés. Les soli­taires promè­nent leurs chiens. Un gamin essaie le vélo qu’il a reçu pour Noël. Ses cama­rades applaud­is­sent. Un père gros et une mère grosse poussent une grosse pous­sette. A Chilch­es les petits rebondis­sent sur un château gon­flable. L’an­née dernière, le 30 jan­vi­er, je courais sur les quais du Mékong à Vien­tiane, Gala s’é­tait enfer­mée dans la bib­lio­thèque du meilleur hôtel de la cap­i­tale avec la femme du directeur, le soir nous dînions avec un Ital­ien venu à vélo de Java. Si j’avais à souhaiter quelque chose pour l’an­née qui vient, ce serait: moins de bruit et plus de temps. Encore plus de temps.

Bruxelles

Plus d’un esprit espiè­gle a dû s’a­muser à décompter les tares respec­tives du soviétisme sous Bre­jnev et des démoc­ra­ties sous Brux­elles; le match est ser­ré. Avec des sociétés dans un état de dérélic­tion avancé, d’autres qui allu­ment des con­tre-feux et une palme d’hon­neur à la France. Reste à com­pren­dre com­ment ce pays qui pos­sède une élite intel­lectuelle enviée du monde entier a pu se laiss­er entraîn­er dans un scé­nario total­i­taire aus­si galvaudé.

Humanité

Imag­i­nons une con­ver­sa­tion d’un autre temps, dans un lan­gage incon­nu, entre deux entités sans com­mun rap­port avec ce que nous con­nais­sons.
-L’hu­man­ité…
-Mais, cela n’a aucune impor­tance! Un détail. Par­lons de choses intéressantes.

Deleuze

Tour­nure d’e­sprit énig­ma­tique d’un Deleuze. Lorsqu’on a com­pris on a pas com­pris. De l’al­coolique, il dit: “c’est quelqu’un dont le but est d’ar­riv­er au dernier verre.” (Abécé­daire.)

Cochons

Dans les bacs de con­géla­tion du super­marché, entassés et plas­ti­fiés, des cochon­nets en posi­tion fœtale. Une dame soupèse, choisit. Elle jette un spéci­men dans son cad­die. Bruit sec. Elle s’éloigne. Sys­tème d’al­i­men­ta­tion mon­strueux. Je regarde ces bêtes couchées et lai­teuses, aux corps, aux groins cal­i­brés, la peau éti­quetée et bar­rée de codes; on se sent moins proche d’une moule que d’un cochon.

Miroirs

Ils instal­laient des miroirs pour ne pas se cogn­er aux murs.