Père

Vient un âge où l’on s’ar­rête de marcher et, se retour­nant, on voit son père. Ce qu’on lui doit, mais aus­si l’om­bre qu’il pro­jette et dont il est dif­fi­cile de se détach­er. Jeune, mon père a pris ses dis­tances avec le milieu dans lequel il étai né. Un milieu suisse, suisse-alle­mand, lau­san­nois, sim­ple, ouvri­er, un milieu de gens hon­nêtes qui opérait dans les soubasse­ments de la société et peinait à imag­in­er le grand jour. Une fois cette dis­tance prise, il n’a pas ten­té de la combler. Je m’en aperçois qu’au­jour­d’hui. Ce qu’il a quit­té, c’est non seule­ment son milieu, mais la société. Il a tra­vail­lé pour soi, organ­isant un monde par­al­lèle, ne s’in­quié­tant de la société que pour percevoir le salaire qu’elle lui devait au titre de ses ser­vices. Cette forme de lib­erté relève de l’équilib­risme. Il a fini en prison. Revenu dans la société, il a repris ces dis­tances. Ce jeu ne laisse pas indemne. J’ai été élevé selon ces principes. La société n’est pas ce à quoi on par­ticipe, mais ce à quoi l’on s’op­pose. Elle a ses exi­gence, le plus sou­vent sous forme d’ex­a­m­en. Alors, il faut se présen­ter, ser­rer les dents, réus­sir. L’ex­a­m­en passé, on reprend se dis­tances. Quant à l’échec, il n’est pas imag­in­able. Quel que soit la nature de l’ex­a­m­en, il relève du jeu, donc on peut le réussir.