Le propriétaire possède des chaises et une table. Elles sont à ma disposition. Cela veut dire qu’elles font partie de l’appartement. Qu’elles soient laquées, laides, chinoises, n’y fait rien. Le contrat établi que l’appartement est meublé. Si j’en fais du petit bois, il me faudra racheter les mêmes chaises. Autant dire que l’affaire est périlleuse. Depuis que l’une d’elle s’est effondrée sous mon poids et que j’ai manqué y perdre la vie, je les regarde avec méfiance. D’ailleurs, je ne m’assois plus que je n’aie auparavant renverser la chaise et assené un bon coup de pied sur le siège pour l’emboîter au plus près. Gala se bouche ls oreilles, j’assène. Hélas, cela ne suffit pas. Au cours d’une conversation, si j’en viens à me balancer sur les pieds arrière, la chaise se désosse. Si j’insiste, je m’énuque. Et on parle ici d’un homme averti. Qu’on imagine mon angoisse quand je prête l’appartement! Bref, j’ai jugé qu’il fallait intervenir.
Le propriétaire vient et confirme le problème: il est ancien.
- Je vais t’envoyer un ébéniste.
Que je sache, un ébéniste est un artisan qui travaille le bois. Comme j’ai dit, que ces chaises soient chinoises, espagnoles ou suédoises, elles ne sont pas en bois. Quant à savoir ce qu’il peut bien y avoir sous la laque… Mais le propriétaire n’est pas un homme qui doute. Au cours de sa carrière professionnelle, il a occupé un poste à responsabilités. En Espagne, cela veut dire que l’on commande. Dans un pays de tradition, la partie la plus importante du travail réside dans la commande plutôt que dans le travail.
Hier matin, l’ébéniste sonne à la porte. En fait d’ébéniste, il s’agit d’un factotum répondant au nom de Diego. La dernière fois qu’il a sonné à la porte, il était installateur de stores. Il saisit une chaise, la renverse. Je tire sur le pied. Le siège me reste dans les mains.
- Le propriétaire pense qu’il faut recoller, dis-je navré.
Si je dis cela à Diego c’est parce que je ne peux pas lui dire le fond de ma pensée: brûlez-moi ces chaises!
Diego me montre alors les traces de colle sur les jointures. Elles ont déjà été collées plusieurs fois. Il hausse les épaules. Je fais de même. Il annonce qu’il va faire son rapport au propriétaire et s’en va. Le propriétaire m’appelle. “Je te donne des nouvelles avant ce soir”, me dit-il.
Ce matin, avant de partir pour l’aéroport, j’attrappe les chaises une après l’autre, je les désosse et range les pièces par catégories: sièges, pieds, dossiers, coussins, supports. Puis j’écris au propriétaire: “tu jugeras par toi-même, mais, à mon avis, il faut les remplacer.”