La route principale est côtière. Les villages sont liés par des quartiers nouveaux parfois fermés à cette saison. A l’occasion, on aperçoit la plage. Contre les pentes de la montagne sont accrochées des villas, sur les sommets se tiennent des carcasses d’édifices. Commencés avant la crise, leur construction est abandonnée. Aujourd’hui, le ciel les traverse. De mon toit, j’en vois un: cinq étages de dalles, les cages d’ascenseur en brique, les piliers de métal et une grue. Un agent m’assure que les appartements seront bientôt mis en location. J’observe. La grue est immobile. Un filet gris pend côté mer. Lorsque le vent souffle du Nord, il lève comme un jupe. Alors une tache d’ombre se détache de l’immeuble et flotte sur les pentes de la montagne. Je roule la carte à la main. Je n’étais jamais venu dans ce quartier de villas. La voiture grimpe sur une première colline, longe un défilé, amorce une autre pente. Nous avons rendez-vous dans un golf. Le restaurant du club est logé au sous-sol d’un bâtiment à l’architecture pâtissière, il donne sur le green. Une trentaine d’hommes chenus boivent des brocs de bière, des golfeurs anglais. Je cherche le gars de l’aéroport, celui qui voyageait dans le même avion que les enfants. Cela me revient: il m’a donné rendez-vous près de la poubelle. De retour à l’étage, je le trouve en effet devant un conteneur de verre. Jovial, il vient à notre rencontre. Il tend la main à Gala. Par-dessus ses épaules, je vois l’autoroute. Les voitures défilent.
- Allons à pied, c’est juste là!
Au bout du parking, une impasse. Sur le côté cinq villas. Le gars tourne la clef dans la porte d’entrée. J’ai le souffle de l’autoroute dans le dos. Nous passons le vestibule, pénétrons dans un vaste salon avec cheminée et sortons sur la terrasse. Elle donne sur le golf. Au loin, les taches blanches, ce sont les Anglais.
- Nous sommes au bas du golf?
- Oui. Il passe sous l’autoroute.
Nous descendons un escalier. Le propriétaire a construit un carnotzet avec bar, bouteiller, armoires encastrées. Il les ouvre.
- Vous ne manquerez pas de place.
La visite passe par la cuisine, bien conçue, les chambres, la seconde terrasse, les salles de bains et le solarium où je retrouve les golfeurs. L’ensemble est solide. Voilà quarante ans que le gars vit à Genève. Il a le sens du travail bien fait. Il s’occupe des routes. Il dit:
- De nuit.
Comment en vient-on à acheter une villa adossée à une autoroute? Je me pose la question.
- Dans les années 2000, c’était un mini Las Vegas, ici!
Puis avec cette franchise de l’ouvrier, le gars dit son salaire. Quatre mille cinq cent. Il précise.
- C’est pas beaucoup. J’ai acheté six cent. Depuis la crise, j’ai de la peine à en obtenir deux cent.
Tout cela avec un sourire bon enfant, l’air embêté, comme si la situation lui échappait provisoirement.