Troupeau

Un trou­peau de géniss­es que les paysans guident à tra­vers le vil­lage. Les bêtes doivent franchir le pont de bois qui enjambe la riv­ière. Elles ont peur. La dame, corps sou­ple et robuste, cheveux de jais, chas­se du bâton; son homme courate, l’an­cien ouvre la voie. Nous roulons au pas, der­rière les culs. Quelques habi­tants vien­nent aux fenêtres. La rue monte, les géniss­es bais­sent la tête et cherchent l’is­sue. L’une d’elles se pré­cip­ite. Un galop et la voici à la ver­ti­cale, les pieds dans un jardin potager. Le paysan ful­mine. Son démar­rage d’ath­lète n’y fait rien: la génisse file. Il la ramène. Et ain­si de suite. Où l’on voit ce qu’est un labeur. Lorsque le trou­peau enfin est enc­los, nous remon­tons sur les pédales et filons à tra­vers les prés pour trou­ver après une bonne heure d’as­cen­sion devant une route fer­mée par des travaux. Nous pous­sons notre avan­tage et faisons bien: les ouvri­ers salu­ent et lais­sent pass­er. D’ailleurs, il y a là, assis sur un para­pet, un père et son fils qui se diver­tis­sent à regarder le jeu des pioches et des pelles. Au vil­lage, nous dînons à l’auberge. Chaque fois que je remar­que à pro­pos d’un serveur ou d’une serveuse, “en voilà un qui a bien le physique des gens des Grisons”, on me répond: “pas du tout, c’est un Autrichien, un Alle­mand, un Serbe…”. Le soleil est revenu.