Mois : août 2016

Candides enfants de Bathgate

Dans le jardin de la mai­son de Whit­burn, je donne lec­ture aux enfants de Can­dide, texte qui est au pro­gramme des exa­m­ens de bac­calau­réat que présen­tera Aplo à la fin de l’an­née. Au deux­ième chapitre com­men­cent les tribu­la­tions du per­son­nage qui vient d’être chas­sé du château de Thun­der-ten-tron­ckh:
“Il s’ar­rê­ta tris­te­ment à la porte d’un cabaret. Deux hommes habil­lés de bleu le remar­quèrent : « Cama­rade, dit l’un, voilà un jeune homme très bien fait, et qui a la taille req­uise. » Ils s’a­vancèrent vers Can­dide et le prièrent à dîn­er très civile­ment. « Messieurs, leur dit Can­dide avec une mod­estie char­mante, vous me faites beau­coup d’hon­neur, mais je n’ai pas de quoi pay­er mon écot. — Ah ! mon­sieur, lui dit un des bleus, les per­son­nes de votre fig­ure et de votre mérite ne payent jamais rien : n’avez-vous pas cinq pieds cinq pouces de haut ? — Oui, messieurs, c’est ma taille, dit-il en faisant la révérence. — Ah ! mon­sieur, met­tez-vous à table ; non seule­ment nous vous défrayerons, mais nous ne souf­frirons jamais qu’un homme comme vous manque d’ar­gent ; les hommes ne sont faits que pour se sec­ourir les uns les autres. — Vous avez rai­son, dit Can­dide : c’est ce que M. Pan­gloss m’a tou­jours dit, et je vois bien que tout est au mieux. » On le prie d’ac­cepter quelques écus, il les prend et veut faire son bil­let ; on n’en veut point, on se met à table : « N’aimez-vous pas ten­drement ?… — Oh ! oui, répon­dit-il, j’aime ten­drement Mlle Cuné­gonde. — Non, dit l’un de ces messieurs, nous vous deman­dons si vous n’aimez pas ten­drement le roi des Bul­gares. — Point du tout, dit-il, car je ne l’ai jamais vu. — Com­ment ! c’est le plus char­mant des rois, et il faut boire à sa san­té. — Oh ! très volon­tiers, messieurs » ; et il boit. « C’en est assez, lui dit-on, vous voilà l’ap­pui, le sou­tien, le défenseur, le héros des Bul­gares ; votre for­tune est faite, et votre gloire est assurée. » On lui met sur-le-champ les fers aux pieds, et on le mène au rég­i­ment.“
Ayant lu, je demande aux enfants de me résumer l’ac­tion. Ils hési­tent sur la per­son­nal­ité des hommes habil­lés de bleu. Je leur fais voir que ce sont des recru­teurs. Le lende­main, nous mar­chons dans les rues de Bath­gate, un vil­lage sec­ondaire du West-Loth­i­an dont l’at­mo­sphère est aus­si triste que le des­tin de Can­dide: la rue com­merçante, pavée et humide, un pub, des bou­tiques gérées par les œuvres de char­ité, des fast-food et l’en­trée du cen­tre com­mer­cial; devant ce dernier, deux mil­i­taires en uni­forme vert. Je vais devant accom­pa­g­né de Luv. Je lui désigne ces hommes:
- Tu les vois? Regarde ce qui est écrit dans leur dos. Recruit­ment. Ça ne te rap­pelle rien? Ils enrô­lent de pau­vres goss­es et les envoie en Irak.
Peu après, Aplo qui était resté en arrière nous rejoint:
- Vous savez ce qui vient de m’ar­riv­er! Les deux gars là-bas m’ont par­lé. Ils m’ont dit que j’é­tais grand et que ce serait bien si je voulais faire l’ar­mée. Il m’ont don­né cette feuille.
Je m’en sai­sis: un résumé des con­di­tions d’engagement.

Travail

On dit “tra­vail” pour faire enten­dre “méti­er”, mais par “méti­er” il faut enten­dre “tra­vail”. La syn­onymie est désor­mais résor­bée- au prof­it du travail.

Chomsky

Avec cette non­cha­lance des Améri­cains, Chom­sky déclare à pro­pos de Marx dans un entre­tien accordé à Boul­der, Col­orado, en 1998: “Il n’avait pra­tique­ment rien à dire du social­isme, quelques phras­es épars­es de-ci, de-là. Il n’avait aucune théorie de la révo­lu­tion ou du change­ment social.”

Spectacle

Le dix­ième jour il s’est arrêté de pleu­voir. Au début de l’après-midi, quelques rayons de soleil ont éclair­er Whit­burn. Aus­sitôt sont apparus des guêpes, des hiron­delles, une pie, des mous­tiques, un chat et des lézards. Le voisin a sor­ti la ton­deuse, des enfants un bal­lon. Un autre voisin a ouvert le capot de sa voiture pour bricol­er son moteur. Nous avons mis la table au jardin et pris part au spectacle.

Sloterdijk

Slo­ter­dijk a rai­son d’i­den­ti­fi­er la fin de l’hu­man­isme avec la fin du rap­port d’ap­pren­tis­sage du monde à tra­vers la lit­téra­ture (dis­ons: l’écrit).

Elites

Élites intel­lectuelles, à défendre. Élites finan­cières, à abat­tre. Élites artis­tiques, à défendre. Élites poli­tiques, à abat­tre. Esprits d’élite, à défendre. Élite religieuse, à abattre.

Les Anglo-saxons

Tout avait bien com­mencé. Nous avons regroupé dans une valise quelques affaires au cas où nous passe­ri­ons la nuit sur l’île, Gala lisait la carte, je con­dui­sais, les enfants écoutaient leur musique à l’ar­rière. Après deux heures d’une route étroite et pleine de lacets, nous étions à six kilo­mètres du port de Balma­ha sur le Loch Lom­mond. Je venais de racon­ter vignette par vignette la libéra­tion du singe par Tintin dans L’île noire, nous n’al­lions pas tarder à pren­dre le bateau. Soudain, route coupée. Y a‑t-il un dévi­a­tion? Pas de dévi­a­tion. For­cés de rebrouss­er chemin, nous aboutis­sons devant un hangar qui vend du matériel équestre. Gala se ren­seigne. Pour aller à Incail­loch? Le vendeur con­firme: la route est fer­mée. D’ailleurs le seul fer­ry de la journée appareille à 11h30. Il revient à 14h00.
- Mais alors, fais-je, com­ment vis­ite-t-on l’île?
- C’est cal­culé, observe Gala. Ain­si les touristes sont oblig­és de pass­er la nuit à l’hô­tel.
- Bien, et main­tenant: que fait-on?
Gala nous ras­sure: le vendeur a don­né l’adresse d’un restau­rant.
- Mon dieu, un restau­rant! Tu sais ce que ça veut dire!
- La salle à manger donne sur le Loch.
En bougonnant, je remet la voiture en marche. Un heure sur une route sin­ueuse et encom­brée. Elle longe les berges du Loch Lom­mond. Les enfants cherchent à apercevoir l’eau à tra­vers les arbres.
- Vous voyez quelque chose?
- Non.
Nous dépas­sons un pan­neau placé à l’é­querre sur un talus: Luss.
- C’é­tait là! s’écrit Gala.
Je veux faire demi-tour, on ne peut pas. Au terme d’une manœu­vre périlleuse, à même la route, je rejoins la route qui amène au Loch. Elle est encore plus petite que les autres.  Devant nous, un camion de la voirie: il brosse les plates-ban­des. Impos­si­ble de dépass­er. Quand nous atteignons enfin le port, c’est à dire un park­ing sur lequel le syn­di­cat d’ini­tia­tive a posé un kiosque à glaces, une bou­tique de sou­venirs et des pots de géra­ni­ums, il y a deux cent voitures. Impos­si­ble de se gar­er. Je me gare dans un virage. Un chauf­feur de bus s’ex­cite: il ne peut pas pass­er. Je m’ex­cite: “descend de ton bus, crétin d’Écosse!” Je reprend le volant, zigzague par­mi des dizaines de voitures con­duites par des gra­bataires en sor­tie domini­cale.
- Bon, les enfants, allez voir cette con­ner­ie de lac!
Gala: “tu exagères!”
- C’est Dys­neland ici! Ces crétins d’an­g­lo-sax­ons!
Je m’ap­prête à jouer les pères respon­s­ables, je respire un bon coup: allez, moi aus­si je vais voir le Loch Lom­mond. C’est alors que je m’aperçois que les places de sta­tion­nement son payantes. Les touristes font la file devant un horo­da­teur.
- Bon, je vais dans la voiture.
Et que vois-je de l’in­térieur de la voiture? Des cou­ples qui man­gent à la main des frites dégouli­nantes de ketchup, boivent du café dans des tass­es en car­ton et achè­tent du coca-cola, des bar­ba­pa­pa et des porte-clefs sou­venirs. Sur la poubelle, un auto­col­lant: alcool inter­dit sous peine d’une amende de 500 Livres. A côté, un pan­neau: 1/4 d’heure de ski nau­tique, 30 livres — 1/4 d’heure de jet­s­ki, 45 livres. Et ain­si de suite. Les enfants revi­en­nent dégoûtés:
- Tu avais rai­son papa, allons‑y!
- Écoutez, je suis désolé, cette société est un cauchemar! Allons manger un steak!
- Tu as envie d’un steak?
- Non, mais c’est la seule chose qui soit comestible.
- A con­di­tion de trou­ver un restau­rent, fait Gala.
Nous n’en trou­vons pas. Je roule une heure. Nous voici à Dum­b­ar­ton. Une rue. La même que dans tous les vil­lages d’É­cosse. Avec son mall, ces obès­es qui se traî­nent en pyja­ma, sa salle des paris et ses bou­tiques: toutes sont tenues par des oeu­vres de char­ité.
Nous entrons dans un pub de la taille d’un ter­rain de foot­ball. Mais pour ce qui est du pub­lic, on est plutôt dans un can­tine ou dans une mai­son de retraite. Nous appelons les serveurs (deux filles et un garçon qui sem­blent avoir eu18 ans la veille). L’un des gamines explique: il faut se servir au bar. 
- Et pour la nour­ri­t­ure?
- Au bar.
J’en­voie les enfants. Ils revi­en­nent penauds:
- Les enfants n’ont pas le droit d’aller au bar.
Je com­mande ce que la carte pro­pose de plus cher: le steak angus sir­loin… et je ne sais quoi. Dix min­utes plus tard, j’ai mal au ven­tre. La bière: coupée à l’eau. Elle fait 3 degrés. Je retourne au bar.
- Avez-vous de la lager forte?
La gamine ne sait pas. Nous man­geons ce qu’on nous apporte. Plus tard, nous sommes dans un mag­a­sin de sport. J’achète des chaus­sures de tra­vail. A coques.
- Eh bien voilà! On veut faire une excur­sion et on finit dans un mag­a­sin.
Mais je me trompe, la journée n’est pas finie: sur le retour, nous sommes pris dans les embouteil­lages de Glas­gow. A la mai­son, je jure que je ne ferai plus rien avant de repren­dre l’avion. Et que c’est la dernière fois que je voy­age au Nord.

Sexualité

Coïn­ci­dence entre des pos­tures aux motifs opposés: les idiots de l’Is­lam détru­isent la lib­erté qu’ils n’ont pas su mérit­er en annu­lant celle des femmes, nos idiots de la société de loisir sépar­ent corps et jouis­sance sex­uelle par goût du con­fort. Les groupes humains per­dent leur allant, se figent et en fin de compte meurent lorsqu’ils renon­cent à l’ex­er­ci­ce naturel de la sexualité.

Pokémon

L’un des développe­ments pos­si­bles du jeu Poké­mon Go con­sis­terait à attribuer des points au meilleurs joueurs de chaque pays (ceux qui ont cap­turé le plus de Poké­mons) et à les amen­er à se cap­tur­er mutuellement.

Actualité

La lit­téra­ture ne devrait jamais s’oc­cu­per de l’ac­tu­al­ité. C’est le sens des Con­sid­éra­tions inactuelles de Niet­zsche. Mais il y a pire que l’ac­tu­al­ité, il y a la poli­tique. Dans ce domaine, les Améri­cains du Sud rem­por­tent le palme: ils enga­gent leur lit­téra­ture. Atavisme his­torique, j’imag­ine: la cru­auté des Espag­nols ayant fait table-rase du passé, tout acte de créa­tion devient néces­saire­ment poli­tique. A l’é­cole déjà, je me méfi­ais d’un Pablo Neru­da. Les équiv­a­lents français ne man­quent pas. Il n’en reste pas moins: la ten­ta­tion de se mêler de l’ac­tu­al­ité est le signe d’un monde en crise. Imi­tons Gide: en voy­age en Afrique pen­dant que la Wher­ma­cht occu­pait la France, il appre­nait l’Alle­mand en pra­ti­quant Goethe.