Tout avait bien commencé. Nous avons regroupé dans une valise quelques affaires au cas où nous passerions la nuit sur l’île, Gala lisait la carte, je conduisais, les enfants écoutaient leur musique à l’arrière. Après deux heures d’une route étroite et pleine de lacets, nous étions à six kilomètres du port de Balmaha sur le Loch Lommond. Je venais de raconter vignette par vignette la libération du singe par Tintin dans L’île noire, nous n’allions pas tarder à prendre le bateau. Soudain, route coupée. Y a‑t-il un déviation? Pas de déviation. Forcés de rebrousser chemin, nous aboutissons devant un hangar qui vend du matériel équestre. Gala se renseigne. Pour aller à Incailloch? Le vendeur confirme: la route est fermée. D’ailleurs le seul ferry de la journée appareille à 11h30. Il revient à 14h00.
- Mais alors, fais-je, comment visite-t-on l’île?
- C’est calculé, observe Gala. Ainsi les touristes sont obligés de passer la nuit à l’hôtel.
- Bien, et maintenant: que fait-on?
Gala nous rassure: le vendeur a donné l’adresse d’un restaurant.
- Mon dieu, un restaurant! Tu sais ce que ça veut dire!
- La salle à manger donne sur le Loch.
En bougonnant, je remet la voiture en marche. Un heure sur une route sinueuse et encombrée. Elle longe les berges du Loch Lommond. Les enfants cherchent à apercevoir l’eau à travers les arbres.
- Vous voyez quelque chose?
- Non.
Nous dépassons un panneau placé à l’équerre sur un talus: Luss.
- C’était là! s’écrit Gala.
Je veux faire demi-tour, on ne peut pas. Au terme d’une manœuvre périlleuse, à même la route, je rejoins la route qui amène au Loch. Elle est encore plus petite que les autres. Devant nous, un camion de la voirie: il brosse les plates-bandes. Impossible de dépasser. Quand nous atteignons enfin le port, c’est à dire un parking sur lequel le syndicat d’initiative a posé un kiosque à glaces, une boutique de souvenirs et des pots de géraniums, il y a deux cent voitures. Impossible de se garer. Je me gare dans un virage. Un chauffeur de bus s’excite: il ne peut pas passer. Je m’excite: “descend de ton bus, crétin d’Écosse!” Je reprend le volant, zigzague parmi des dizaines de voitures conduites par des grabataires en sortie dominicale.
- Bon, les enfants, allez voir cette connerie de lac!
Gala: “tu exagères!”
- C’est Dysneland ici! Ces crétins d’anglo-saxons!
Je m’apprête à jouer les pères responsables, je respire un bon coup: allez, moi aussi je vais voir le Loch Lommond. C’est alors que je m’aperçois que les places de stationnement son payantes. Les touristes font la file devant un horodateur.
- Bon, je vais dans la voiture.
Et que vois-je de l’intérieur de la voiture? Des couples qui mangent à la main des frites dégoulinantes de ketchup, boivent du café dans des tasses en carton et achètent du coca-cola, des barbapapa et des porte-clefs souvenirs. Sur la poubelle, un autocollant: alcool interdit sous peine d’une amende de 500 Livres. A côté, un panneau: 1/4 d’heure de ski nautique, 30 livres — 1/4 d’heure de jetski, 45 livres. Et ainsi de suite. Les enfants reviennent dégoûtés:
- Tu avais raison papa, allons‑y!
- Écoutez, je suis désolé, cette société est un cauchemar! Allons manger un steak!
- Tu as envie d’un steak?
- Non, mais c’est la seule chose qui soit comestible.
- A condition de trouver un restaurent, fait Gala.
Nous n’en trouvons pas. Je roule une heure. Nous voici à Dumbarton. Une rue. La même que dans tous les villages d’Écosse. Avec son mall, ces obèses qui se traînent en pyjama, sa salle des paris et ses boutiques: toutes sont tenues par des oeuvres de charité.
Nous entrons dans un pub de la taille d’un terrain de football. Mais pour ce qui est du public, on est plutôt dans un cantine ou dans une maison de retraite. Nous appelons les serveurs (deux filles et un garçon qui semblent avoir eu18 ans la veille). L’un des gamines explique: il faut se servir au bar.
- Et pour la nourriture?
- Au bar.
J’envoie les enfants. Ils reviennent penauds:
- Les enfants n’ont pas le droit d’aller au bar.
Je commande ce que la carte propose de plus cher: le steak angus sirloin… et je ne sais quoi. Dix minutes plus tard, j’ai mal au ventre. La bière: coupée à l’eau. Elle fait 3 degrés. Je retourne au bar.
- Avez-vous de la lager forte?
La gamine ne sait pas. Nous mangeons ce qu’on nous apporte. Plus tard, nous sommes dans un magasin de sport. J’achète des chaussures de travail. A coques.
- Eh bien voilà! On veut faire une excursion et on finit dans un magasin.
Mais je me trompe, la journée n’est pas finie: sur le retour, nous sommes pris dans les embouteillages de Glasgow. A la maison, je jure que je ne ferai plus rien avant de reprendre l’avion. Et que c’est la dernière fois que je voyage au Nord.