A travers les terrains vagues qui flanquent le haut du village, nous rentrons avec Gala du centre commercial. Je pousse un caddie de grand-mère contenant des champignons, un poulpe, une marmite, des épinards et une boîte de frijol; de l’autre main, je tiens une poêle à paella de taille moyenne. Au rez de l’église, dans la salle de boxe, des filles dansent sur un air techno. Sur le terrain de basket, devant l’école municipale qui ne rouvrira ces portes qu’à la mi-septembre, des gitanes jouent à la corde à sauter. Plus loin, un père et son fils discutent de la meilleure manière de faire briller le toit d’une vielle Seat. Aux balcons, les hommes revenus du travail fument à torse nu.
Mois : août 2016
Bonheur
Hier à l’heure du crépuscule je suis allé courir le long de la mer. Sur quinze kilomètres, je n’ai vu que des personne heureuses. Les enfants batifolent dans une eau d’argent, les adolescents jouent au volley, d’autres poussent des planches de surf contre les vagues, à l’abri du rocher qui abrite une chapelle de la Vierge. Les couples chenus lèvent les yeux pour recevoir la dernière lumière tandis que les familles douchent leurs jambes plaquées de sable. Les restaurants de plage allument les braseros, un homme chante, les terrasses se remplissent pour l’apéritif. Devant tant de plaisir étale, il faut se démettre.
Trahison
Je suis opposé à la peine de mort. Comment laisserait-on une décision de cette gravité entre les mains de personnes qui, appliquant la peine, se déchargent de leur responsabilité sur un groupe, fut-il représentatif? Tuer est un acte individuel. Mais jamais je n’avais songé à cet argument qui, tout aberrant qu’il soit, m’a fait rire, surtout en ces temps de veulerie: les hommes politiques condamnent la peine de mort car ils craignent d’être exécutés pour haute trahison.
Poison
Accroché à la paroi de végétation, les enfants lèvent la tête vers le ciel pour goûter la pluie de pétrole. Mon chapeau de paille ne suffit pas à me protéger. Je m’écarte de la paroi, rase les murs; le liquide poisseux ruisselle sur mon visage. L’un des enfants boute le feu au combustible. La paroi noire s’enflamme. Je crains que mes enfant ne brûlent, puis voyant qu’il ne sont pas touchés, je me mets à la cuisine, je confectionne une paella. Lorsque le repas est prêt, Aplo, Luv et leur cousin s’écrient:
- Oh non, pas un plat de lumbagos!
Je les attrape par le collet, les ramène, les met en attente. Le cousin s’échappe. Il plonge dans la cage d’escalier. Je m’élance. Il me nargue:
- Ta paella, je m’en bats les couilles
Je punis Aplo et Luv. Du moins sont-ils mieux éduqués que leur cousin, me dis-je. Et je me jure de châtier ce dernier. En même temps, le puis-je? A‑t-on le droit de réagir avec brutalité face à l’enfant des autres? Ce serait pourtant lui rendre un grand service…
Avant ce rêve, nous parlions avec Gala de l’usage obsessionnel que Luv fait de son téléphone portable.
- Elle est empoisonnée! Constatai-je.
Ensemble, nous cherchions comment intervenir. Plus tard, je lisais un texte de Bernard Stiegler sur la mémoire épiphylogénétique, déclarant à Gala:
- Voilà exactement ce qu’il faudrait donner à lire à Olofso pour qu’elle comprenne les dégâts que provoque cet emploi compulsif des moyens électroniques, mais voilà, comment faire, comment l’amener à lire et comprendre?