Vous aussi remplacez votre cœur par un cœur Kiba!
Mois : août 2016
Juge
L’an dernier, je suis convoqué au tribunal de bon matin. La salle en sous-sol est peu éclairée, petite et grise. Les pupitres évoquent la classe d’école. Il sont courts. Je prends place mais ne sais que faire de mes jambes. Sous le plateau, elles m’obligent à prendre la forme du banc et me donnent un air intimidé. Pour gagner quelques centimètres, je place mes genoux contre le bord du pupitre. Entre le juge et sa suite: un boutonneux premier de volée et une greffière. Le juge s’installe sur l’estrade (un socle rehausse son bureau). Dans son dos, j’ai le plaisir de voir par la fenêtre des vaches fribourgeoises qui paissent un coteau. Le regard rentré, le juge manipule un dossier. Lorsqu’il a fini, il toise les personne présentes dans la salle, et, avant de saluer, à mon intention:
- Tenez-vous bien!
Comme dit l’autre: Mais qui sont ces gens? Pour qui se prennent-ils?
Impôt
Armée de tacherons de l’Etat qui activent des poursuites, molestent votre maman à son domicile, émettent courriers et menaces pour récupérer une somme de dix-huit francs alors que dans le même temps je verse sur la foi de leurs gribouillage arithmétiques lardés de lois fiscales plus de dix mille francs.
Souk
Me remémorant le souk du Caire, je voyais ces marchands d’essences installés devant des séries multicolores de fioles exhalant des odeurs écœurantes. C’est à la fois l’origine des parfums, produits du trafic triangulaire qui animait la méditerranée à l’époque de gloire de la Venise renaissante et, devant l’empire contemporain des grandes marques occidentales, une survivance archaïque qui témoigne du rapport particulier qu’entretiennent certaines civilisations avec le progrès.
Vie antérieure
L’après-midi, au moment de m’endormir, se produit un étrange phénomène mémoriel. Je me souviens d’un événement vécu auquel je ne pense plus depuis longtemps au point de douter d’abord si c’est bien moi qui l’ai vécu. Mai à mesure que la mémoire se fixe, je le reconnais: il s’agit bien d’un épisode de ma vie. Et aussitôt de me demander: comment ais-je pu l’oublier? Alors, désireux de mieux revivre l’événement, je fais un effort de mémoire et il s’évanouit comme si, devenant pleinement conscient, il trahirait son appartenance à une vie antérieure.
Butor
Michel Butor est mort la semaine dernière. De ce séminaire que j’ai suivi sous sa direction, à l’université de Genève, il y a plus de vingt ans, j’ai tout oublié. C’est tout juste si je vois sa silhouette déjà bedonnante et retrouve le régime de sa voix, prolifique. Aujourd’hui, j’aimerais savoir ce qu’il nous disait. Quelques années plus tard, comme je revenais de mon voyage à vélo en Syrie, il s’est assis à côté de moi dans l’avion. Il portait une ceinture de cuir sur une blouse évoquent le bleu de travail. Sa barbe et sa tenue lui donnaient un air de moine. Timide, je n’ai pas osé lui adresser la parole. D’ailleurs, il n’a pas pipé mot pendant le vol. Pas plus que la femme qui l’accompagnait. Que des journalistes à l’intelligence boiteuse aient durablement moqué le programme esthétique du Nouveau roman n’enlève rien à la qualité d’écriture de ces écrivains (agacé par la ratiocination de Nathalie Sarraute, j’admire en revanche Alain Robbe-Grillet, particulièrement à travers le personnage de Des Esseintes et bien sûr le maître de la mémoire défaillante, Robert Pinget).