Ravensburg

En BMW sur les rives du lac de Con­stance. Les verg­ers plient sous le poids de pommes, les ceris­es sont odor­antes, la nature verte, jaune et riche, proche de la per­fec­tion; ain­si des vil­lages: ancrées sur les ter­rains gras, de solides maisons de maîtres et des granges sur pierre, dans les vil­lages, sous de robustes sap­ins, des séries de façades en colom­bages . Ordre, beauté, sérieux. Sous cet aspect, l’Alle­magne paraît éter­nelle. Alle­magne-là au moins. En fin d’après-midi nous entrons dans Ravens­burg. Cité médié­vale flan­quée de tours de guet. L’hô­tel est au pied de l’Ober­ertur. De notre cham­bre, nous apercevons le mur d’en­ceinte. Dans la rue, Gala arrête un pein­tre à barbe. Il nous recom­mande un restau­rant de vian­des. Même décor de con­te clas­sique. Buf­fets de sapin, pla­fon­nier à cais­sons, tables de mille kilos, nap­per­ons ouvragés, ce luxe paysan qu’ap­pré­cie la bour­geoisie nou­velle (je la com­prends — l’u­nivers des meubles en pous­sière coag­ulée, des tabourets de plas­tique et du fer blanc chi­nois me déprime). La bière est déli­cieuse: pro­fonde, tiède, hou­blon­née, et servie en ver­res d’un litre.
Le lende­main, après le petit-déje­uner, nous tombons en plein marché du same­di. Quelques pas dans les ruelles pavées que coupe et recoupe l’eau d’un canal et aus­sitôt j’ai l’im­pres­sion que je vais crois­er Nar­cisse et Gold­mund, les com­pagnons du roman moral de Her­mann Hesse. Mais c’est encore mieux: par­mi les stands d’ar­tichauts sur tige, de gro­seilles, de fram­bois­es et de fro­mages, un vieil­lard en bretelles vend des cuil­lères de bois sculp­tées au canif, des chaus­sons de bébé tri­cotés main et des bas de laine fait mai­son. Prix unique: 1 euro. J’achète un cuil­lère. Sur la place, leur marché fait, les cou­ples déposent leur cabas débor­dant de vict­uailles et man­gent des viennes et de la salade de choux. Midi son­nant, nous faisons de même, mais faute de sec­tion­ner avec la maîtrise voulue les mots à ral­longe peints à la craie sur les ardois­es de menu nous pas­sons une com­mande aber­rante, et nous voici à la tête de six sauciss­es blanch­es nageant dans des bols d’eau chaude, de trois pots de moutarde douce et de deux flûtes de bière aqueuse.