Augsburg

Heilige-Kreuz strasse, l’hô­tel est com­plet. Nous logeons sous les toits, dans une cham­bre de lits sim­ples où l’on ver­rait des étu­di­ants manger sur le coin du bureau en pré­parant leurs exa­m­ens. J’ai choisi Augs­burg pour les mêmes motifs que Ravens­burg, ce sont des villes anci­ennes, mar­quées par le catholi­cisme, pleines de cou­vents, de pavés, de ruelles, d’auberges, tout ce que détes­tent ces nou­veaux réac­tion­naires, par­ti­san d’un indi­vid­u­al­isme obses­sion­nel, pour qui l’his­toire fait obsta­cle à l’ex­pres­sion, à la lib­erté, à la vie. Nous suiv­ons la rue du tram pour gag­n­er le cen­tre ville. Tout d’abord, l’il­lu­sion l’emporte: impasse des Jésuites, con­gré­ga­tion du Sacré-coeur, mai­son Mozart. Mais ce qui se tient der­rière les vit­rines — le résul­tat de la tolérance? de la char­ité? — est moins réjouis­sant: pile de ham­burg­ers, fumeries Tamoules, mon­tagnes de frites con­gelées, Turcs en pyja­mas, salons de jeux. Et sur la route: cortège de voitures frot­tées à la cire trans­portant des pro­lé­taires en parade. Nous enga­geons les rues com­merçantes. Alors, le cauchemar se matéri­alise: une pop­u­la­tion du tiers-monde, désori­en­tée, déam­bu­lant der­rière des télé­phones porta­bles. Où que je me tourne, même vision. Et les Alle­mands? Gala m’en désigne un. Puis un autre. Comme d’habi­tude:
- Alexan­dre, tu exagères!
Certes! Ce sont des Alle­mands. Mais quelle tête ils tirent! Se seraient-ils don­né ren­dez-vous pour un sui­cide col­lec­tif qu’ils ne paraî­traient pas plus dés­espérés. Je m’é­tonne puis je ne m’é­tonne plus: me voici au dia­pa­son, le moral en berne. La faute au spec­ta­cle: il est dés­espérant. Je pro­pose de pren­dre un taxi, de regag­n­er l’hô­tel de mon­ter en voiture et de fil­er. Regarde ailleurs! Fait Gala. Je veux bien, mais où? En dépli­ant la carte prise à la récep­tion de l’hô­tel, nous trou­vons enfin un Bier­garten, le Zeughof. Adossé à un bâti­ment baroque qui fait école de musique. Heureuse­ment qu’il y a ces enfants qui passent avec des vio­lons sur le dos, car même la bière peine à étein­dre la vision de cauchemar qu’of­fre ce cen­tre-ville bradé aux pop­u­la­tions abru­ties du tiers-monde.