Il y a vingt-cinq ans, je marchais avec des amis le long du Rhône dans la vallée de Conches. La conversation portait sur l’apprentissage. Nous avions un peu lu, mais ce n’était pas affaire de quantité, mais bien d’ordre: les livres que nous avions lu nous avaient-ils été désignés par les maîtres (qu’on se rassure, d’université) parce qu’ils formaient un savoir raisonné? Avaient-ils été soumis à notre appréciation pour nous permettre d’entrevoir un ordre de la culture, que l’on peut appeler si l’on veut humaniste et qui, en tant que tel, possédait une objectivité historique? A quoi il faut immédiatement opposé — et c’est là que je veux en venir — que si cette objectivité n’était qu’historique elle était discutable. Mais alors, on peut se demander si permettre de la discuter n’était pas précisément la tâche que s’assignait l’Université en nous donnant à lire ces livres. J’ignore quelles étaient nos conclusions ce jour-là au bord du Rhône. Il me semble que je plaidais pour un désordre créateur dans le choix des lectures, ce qui trahissait mon optimisme: je pensais que, quelque soient les livres lus, une intelligence douée et critique pouvait accéder à l’ensemble des idées produites par l’histoire moyennant de reconstruire les raisonnements. Je dirais aujourd’hui, qu’il faut être doué pour réussir cela et pas qu’un peu… mais là n’est pas mon propos: ce qui m’est apparu ces derniers jours est que si l’on cherchait à tracer un cheminement intellectuel en lisant des livres sans bénéficier d’aucun conseil d’ordre, on deviendrait probablement un intellectuel sans équivalent avec ce que sont les intellectuels dans notre société. Ce qui pose la question de l’objectivité historique qui fonde l’ordre et de son poids en tant que modèle de lecture des lectures.