Chaleur harassante. Moi qui n’ai jamais chaud. Cela commence vers onze heures le matin. A cette heure, j’écris, installé torse nu devant l’ordinateur. Par moment, les chiens aboient. Non pas deux, trois chiens, mais dix ou quinze. Un chenil! Une bête de petite taille, perdue au loin, sur la colline ou dans le jardin d’une villa, donne le signal du départ. Je m’interromps au milieu d’une phrase. A ce stade, je peux encore espérer que la vague ne viendra pas jusqu’à notre immeuble. Mais le plus souvent, toute la ménagerie du quartier se déchaine. Ce matin, je rédigeais un chapitre sur l’évolution de l’égalitarisme. Pour tenir l’argumentation, il faut une poigne de fer. Quand j’en ai marre, je monte sur le toit, je crie: “Maudits chiens chimiques! La ferme bande de mutants!” ou toute autre chose qui me passe par la tête. Et que s’ensuit-il? Rien! Les aboiements continuent. Extraordinaires Espagnols, ils ont insensibles au bruit. Je me demande ce qu’ils pensent de l’égalitarisme… Ce n’est que vers treize heures que la chaleur calme ces sac à pattes. Mais c’est aussi l’heure à laquelle je cesse d’écrire pour presser des jus d’orange. Peu après, nous descendons à la mer, commandons de la bière, mangeons un plat. Si nous nous attardons sur le quai, lorsque nous traversons le village, nous sommes seuls dans la rue. Les magasins ont fermé, les volets sont clos, la population s’est retranchée. Même le chinois a tiré son rideau. Nous remontons lentement l’allée aux palmiers, rentrons dans l’immeuble par le garage (l’endroit le plus frais à dix kilomètres à la ronde), nous nous couchons nus sur le lit. J’essaie parfois de lire. Il est rare que j’atteigne bout de la page. Quand je veux me lever, je vois qu’il est trop tôt, que c’est peine perdue: rien de sérieux ne se peut entreprendre avant vingt heures.