Portiers

La déf­i­ni­tion que l’on donne de la société déter­mine la capac­ité à y vivre donc à être heureux. C’est pourquoi l’é­cole telle qu’elle a existé au XX ème siè­cle, sous la forme d’un out­il d’é­d­u­ca­tion générale, a dis­paru. Ne sont plus don­nés les moyens de définir, mais la déf­i­ni­tion. Déf­i­ni­tion assez lâche pour ne pas être con­fon­due avec de l’idéolo­gie, déf­i­ni­tion qui con­tient sa pro­pre cri­tique. Le tout conçu pour appari­er l’in­di­vidu à un monde-nation des intérêts par­ti­sans.
Quand mes enfants sont entrés à l’é­cole, je leur tenais le dis­cours de tous les pères: “com­mence par tra­vailler, nous  ver­rons plus tard si tu veux faire l’u­ni­ver­sité!”  Alors qu’ils sont en âge de com­mencer des études supérieures, je juge ce con­seil illu­soire, ou plutôt, ridicule. Car nos études supérieures per­me­t­tent d’être caissier d’une banque plutôt que d’un super­marché, représen­tant d’une multi­na­tionale, plutôt que de l’épicerie de rue, garde-chiourme de l’E­tat plutôt que concierge… sim­ple dif­férence de quan­tité, de revenu veux-je dire, lequel par un jeu de passe-passe vaut statut. L’essen­tiel — qui est passé sous silence pour réalis­er à par­tir de la déf­i­ni­tion que donne l’é­cole la société que l’on veut obtenir- est que l’in­di­vidu hon­nête reste à la porte. Encore, il resterait à la porte avec un savoir, cette capac­ité de jouir de soi, mais non: il reste à la porte cloué d’en­nui, privé de soi, tel un videur de boîte dont on vante avec un peu de dégoût le poitrail.