Doutes

Ven­dre­di dernier, je vais au marché du vil­lage avec Mon­a­mi. C’est un marché de quelques stands. Un fab­ri­cant de miels, deux plateaux de fruits et légumes, des chif­fon­niers, dans un angle un fleuriste et une famille qui vend figues, épices et noix, enfin ce gitan qui jon­gle sur des pyra­mides d’av­o­cats et de mangues. Mon par­cours est tou­jours le même, dans le sens inverse des aigu­illes de la mon­tre. Une pre­mière fois, je défile pour le plaisir des yeux, puis j’achète. Ce jour-là, Mon­a­mi et moi sommes chargés lorsque nous dis­cu­tons avec le fab­ri­cant de miels. Pour quinze Euros, j’ob­tiens trois pots. Je lui tends une bil­let de 50, j’empoche la dif­férence en bil­lets. Or, peu après, quand je veux pay­er une pastèque au stand du maraîch­er qui se trou­ve à trois mètres de là, je ne trou­ve plus mon argent. Je retourne mes poches, cherche dans le sac à com­mis­sions, fouille encore mes poches: incré­d­ule, j’en­fonce plus avant la main dans des poches que je sais vides. De retour à l’ap­parte­ment, Mon­a­mi émet les hypothès­es de rigueur. Nous en con­clu­ons que les bil­lets ont glis­sé au sol lorsque je payais la pastèque. Pour­tant, les shorts de l’ar­mée thaï­landaise ont de poches con­séquentes, à la fois larges et pro­fondes et comme j’ai démé­nagé par avion, ma garde-robe est mai­gre, de sorte que je porte ces shorts matin et soir — c’est dire si j’y suis habitué. Bref, lorsque je repense à l’af­faire, je m’é­tonne que ces bil­lets aient pu m’échap­per. Hier, ven­dre­di, un semaine plus tard, je me rends à nou­veau au marché. Après avoir fait le tour des stands, je vais directe­ment chez le maraîch­er sans m’ar­rêter chez le fab­ri­cant de miels. J’achète des patates, des tomates et du raisin. Der­rière les plateaux, trois vendeurs. Ils vont et vien­nent, ser­vent plusieurs clientes à la fois, comptent, addi­tion­nent, ajoutent, retranchent. L’opéra­tion dure. Côté client, je suis le seul homme. Mon vendeur dépose les tomates au sol, pèse les patates, les place à côté des tomates, me mon­tre les grappes de raisin, cal­cule le prix. Je paie. Sur un bil­let de 20, il me rend 14 Euros dont un bil­let de 10. J’empoche. Même poche, du même côté, dans le même pan­talon. Arrivé à l’ap­parte­ment je décou­vre le bil­let de 10 Euros dans le sac à com­mis­sions. Je ne m’é­tonne pas. Le soir, quand je veux sor­tir, je ne trou­ve plus la com­mande du garage. Elle se trou­ve tou­jours dans la poche opposée à celle où je place mon argent. Je cherche qui a pu me faire les poches. Par­mi les clients, il n’y avait que des femmes du vil­lage; toutes achetaient. Celui qui a voulu me vol­er aura com­mencé par la poche droite. Étant tombé sur la com­mande, il aura pour­suivi par la poche droite, celle où je range mon argent. Pour une rai­son ou une autre, le bil­let lui aura échap­pé et il sera tombé dans mon sac à com­mis­sions. Ven­dre­di prochain, je prévois de poster mon frère qu’i­ci per­son­ne ne con­naît à dis­tance d’ob­ser­va­tion. Je n’au­rai plus qu’à acheter mes légumes et atten­dre. Dès que le pick­pock­et ten­tera son coup, mon frère m’aver­ti­ra et je l’at­trap­erai (cepen­dant, j’ai retrou­vé la com­mande, elle se trou­vait dans un autre pantalon.)