Ciron

Sur la ter­rasse, une araignée si petite que ses mou­ve­ments sont indé­tecta­bles. Je souf­fle dessus. Elle remue. Je la retourne, elle est morte. Son corps poudré occupe moins d’un mil­limètre sur le car­reau de faïence. Ces car­reaux recou­vrent les cinquante mètres car­rés de la ter­rasse. A ma sur­prise, un par­a­site dix fois moin­dre tra­verse en diag­o­nale le car­reau et se jette sur l’araignée. Il fouaille puis se retire. Je con­tin­ue de fix­er la sur­face et aperçois un insecte micro­scopique. En com­para­i­son, mon araignée à la taille de la ter­rasse. Cet insecte  a un corps sphérique. Plutôt qu’il ne marche, il roule. Ce ne sont plus ses mou­ve­ments qui sont indé­tecta­bles, mais sa nature toute entière. D’ailleurs, il tra­verse le car­reau de part en part comme une comète tra­verserait un plan d’e­space. Me revient alors en mémoire le ciron de Pas­cal, cette créa­ture de mes qua­torze ans dont l’habi­tat orig­i­nal sem­ble être les class­es d’é­cole. Se présente ensuite à mon esprit Micromé­gas et ses aven­tures dans les îles voyageuses. Puis, l’œil tou­jours rivé sur mes créa­tures de ter­rasse et leurs échelles respec­tives, je songe aux robots thérapeu­tiques des nan­otech­nolo­gies. Si tout va bien — ce qui pour­rait aus­si vouloir dire que tout va mal — ces créa­tures arti­fi­cielles et besogneuses s’emploieront à mod­i­fi­er nos corps de l’in­térieur sans que notre com­porte­ment s’en trou­ve immé­di­ate­ment altéré, et, plus cauchemardesque, sans notre con­sen­te­ment. Alors, nous nous écrierons à coup sûr: “en ce moment, moi qui pré­tend cri­ti­quer la vie des bêtes, je ne sais pas qui je suis!”