Paris 2

Cette fréquen­ta­tion de quartiers, de lieux, de cafés dans des villes éloignées, par­fois très éloignées, sur une longue péri­ode, parce que les ami­tiés changent, les travaux changent, les jours passent, les ren­con­tres impliquent d’autres rap­ports, donne, plus que toute autre chose, une dimen­sion au temps. A Trat, Madrid, Paris, Bangkok, Mala­ga, Munich, je con­nais des serveurs, des cuisinières, des cireurs de chaus­sures, des cap­i­taines de bateaux, des ama­teurs de musique, des policiers, des bouch­ers et des pein­tres par leur prénoms. Si j’en­tre chez eux, ils me salu­ent et deman­dent où j’é­tais passé. Pour Fri­bourg, Genève et Lau­sanne, je con­nais l’ar­chi­tec­ture, la matière et le détail des rues. Lorsqu’une une enseigne neuve est apposée sur un com­merce, je sais quels sont les anciens locataires et devant un ter­rains vague je peux dire qui habitait l’im­meu­ble dis­paru. Sen­sa­tion ver­tig­ineuse: on s’aperçoit que l’on a vécu. Je m’ar­rête devant l’é­choppe d’un épici­er de la Porte Saint-Mar­tin. Il me suf­fit de marcher dix mètres, pour rejoin­dre en me glis­sant à tra­vers une porte cochère la rue rue privée où je venais boire en 2004 avec G. A six mille kilo­mètres de là, rue Ram­but­tri, je me tiens devant un bâti­ment blanc gar­ni de vit­res fumées. La pen­sion Parko­r­b’s où je suis descen­du pour la pre­mière fois il y a vingt-six ans a été démolie l’an dernier. Si je pou­vais me fau­fil­er jusqu’aux toi­lettes, ressor­tir par la lucarne, je trou­verais peut-être la mai­son de bois tra­di­tion­nelle con­stru­ite en sec­onde ligne où nous dormions Olof­so et moi séparés des autres clients (il n’y avait que trois cham­bres) par des cloi­sons de teck ouvragé. Mais en com­para­nt des points pré­cis de la géo­gra­phie à ces mêmes points tels qu’il exis­tent dans le sou­venir ce qui échappe c’est la trans­for­ma­tion générale des choses. En quoi, par exem­ple, le cen­tre de Bangkok entre Lumphi­ni et Sukumvhit est dif­férent de ce qu’il était à l’époque où je l’ai arpen­té pour le pre­mière fois, en 1983. Le désor­dre a changé. Et puis ces lieux ren­voient aux per­son­nes avec qui nous les fréquen­tions. Et pour celles qui ne sont plus de nos rela­tions, il sem­ble incroy­able qu’elles puis­sent être tou­jours. D’ailleurs, si elles venaient à pass­er, à l’in­stant où l’on fixe une façade, une table, un étal de légumes, peut-être ne les recon­naî­trait-t-on pas; ou alors, les recon­nais­sant, on se dirait : c’est bien cette même per­son­ne, mais ce n’est pas elle.