Mois : mai 2016

Transparence

Dans son arti­cle Vis­i­ble man, Peter Singer revendique une trans­parence générale des infor­ma­tions con­cer­nant les indi­vidus. La société con­nec­tée comme solu­tion éthique. A quoi Julian Assange oppose à juste titre une morale lib­er­taire: seuls seraient astreints à la trans­parence les respon­s­ables, leurs déci­sions engageant toute la com­mu­nauté; la vie privé des indi­vidus serait au con­traire pro­tégée con­tre les incur­sions de l’E­tat. Mal­gré la prox­im­ité des inten­tions, dif­fi­cile d’imag­in­er dans leurs résul­tats deux approches aux con­séquences plus opposées. Peter Singer (qui sem­ble si j’ai com­pris défendre cette théorie aber­rante qu’est le con­séquen­tial­isme, lequel implique de juger de la valeur morale des actes par les effets déployés) se range par défaut dans le camp des libertariens.

Skype

Gala, à dis­tance, devant la caméra, nue sous un treil­lis:
- Tu ne vas pas sor­tir comme ça, non?
- Mais enfin, tu me con­nais! Per­son­ne, jamais!

Salade

En ter­rasse, le garçon de café au client:
- Eh bien, vous aviez faim!
- Pas du tout, ma salade s’est envolée!

Naissance de la démocratie

Quand on songe à l’ac­tion de Clisthène, cet aris­to­crate que le peu­ple d’Athènes appelle à la tête de la ville après s’être révolté con­tre les Spar­ti­ates que lui impo­sait le tyran Isago­ras, on s’é­tonne de ce trait génial qui amène cet homme a con­cevoir, en rup­ture avec toute la tra­di­tion, le débat comme le fonde­ment poli­tique de la com­mu­nauté, mais aujour­d’hui, face à la com­plex­ité des rap­ports de délé­ga­tion qui frag­ilise la démoc­ra­tie, il y a aus­si lieu de se sou­venir qu’un seul homme inspiré par une idée pou­vait alors être à l’o­rig­ine d’un boule­verse­ment historique.

Deuxième classe

Le pilote du ATR42 à des­ti­na­tion de Caen: “Ici, devant, tout va bien!“
Mon voisin anglais me coudoie:
- Un Irlandais.

Télévision

Les rêves sont infor­més par les dernières images du soir, surtout lorsque celles-ci se déversent sans qu’on y prête atten­tion, ce que j’ai eu l’oc­ca­sion de véri­fi­er cette nuit après avoir allumé dans la cham­bre d’hô­tel le téléviseur qui fai­sait face à mon lit, lequel pas­sait une film d’ac­tion avec Stal­lone que je ne regar­dais pas, mais que je n’ai pu éviter de voir.

Southend

Diver­sité fab­uleuse de l’Eu­rope. L’avion vous débar­que dans le faubourg d’une ville, dans ce cas un endroit de Lon­dres sans intérêt donc invi­o­lé, et l’i­den­tité de tout un peu­ple s’of­fre au regard. Maison­nettes de brique brune alignées sur des miles. Elles s’ar­c­que­boutent aux gira­toires puis repren­nent le rang, à moins que l’on choi­sisse de chang­er de direc­tion. A l’é­querre et dans les angles, for­mant les branch­es d’une étoile, com­men­cent d’autres rues toutes pareilles. Il n’y en a pas dix ou cinquante, mais des mil­liers devant l’hori­zon, accrochées les unes aux autres comme des wag­onnets. Les façades ne comptent pas six mètres jusqu’à la cor­niche du toit. Les aplats de gazon sont coupés d’al­lées, les portes munies de heur­toirs. Aucune clô­ture, les pro­priétés don­nent sur les trot­toirs, quant aux voitures, elles sont garées le capot côté entrée, témoignant de la présence des hôtes à leur domi­cile. Un Anglais arrose, un autre peint, un troisième répand du gravier. Au milieu de cette aggloméra­tion, un super­marché bardé d’an­nonces et un épici­er Pak­istanais vendeur d’al­cools. A un voisin qui décharge une échelle de son véhicule, je demande le pub.
- Juste­ment, j’en viens!
Il m’indique au loin un gosse qui tourne en rond sur son vélo.
- A peu près à cette hau­teur.
Le pub fait grill; il donne sur un périphérique qui mène au cen­tre de Lon­dres. Il est entouré d’un Fish &Chips, d’une blan­chisserie, d’un kiosque et d’un kepab. Boisé, usé, tout en moquettes et tapis­series, il est meublé de fau­teuils et de canapés, façon salon privé. Au comp­toir je m’in­téresse aux colonnes à bière. Des mar­ques inter­na­tionales.
- Avez-vous une blonde anglaise?
- Je n’en ai pas la moin­dre idée, fait la gamine.
Côté restau­rant, un placeur guide les clients. Un verre de bit­ter en main, je cherche où m’in­staller. Je pénètre dans un boudoir qui a sa chem­inée et ses tableaux. Des amis font cer­cle autour d’une table chargée de bois­sons. Entre une femme. Les autres l’ac­cueil­lent avec des rires et des blagues. Elle dis­tribue bais­ers et poignées de main. Elle s’as­sure de n’avoir oublié per­son­ne, m’aperçoit:
- Je vous embrasse aus­si?
Le placeur les appelle, tous se lèvent et se met­tent en file indi­enne. Je reste seul dans le salon. Près des machines à sous, un cou­ple de jeunes ouvri­ers avec leur bébé. Lui en bleu, le crâne rasé, le cou gros, les épaules tail­lées telles des enclumes. Elle, tire­bou­chon­née dans un corset noir aux trous entretenus. La vie est dure. A les observ­er, cette phrase me vient aus­sitôt à l’e­sprit. Ils doivent ren­con­tr­er des prob­lèmes naturels qu’ils résol­vent de manière naturelle, en se débat­tant. Mais cela ne suf­fit pas, d’autres prob­lèmes suiv­ent. Et d’autres encore. Mais nous sommes ven­dre­di, dans un pub: pen­dant quelques heures, les prob­lèmes n’ex­is­tent pas. Le placeur vient chercher le cou­ple. Je les rejoins au buf­fet. Munis d’assi­ettes blanch­es, nous défilons devant dix ter­rines: chou sur­cuit, patates à l’ail, pois luisants, purée… Aupar­a­vant, un coupeur de viande nous a offert de choisir entre la dinde, le porc et le bœuf ou de goûter des trois sortes. Le cou­ple fait quelques pas. Il s’ar­rête devant la table des sauces. Cha­cun asperge son plat à la louche. Fab­uleuse diver­sité, dis­ais-je. Si de nos jours l’on insiste tant sur les droits formels, c’est qu’il est à peu près impos­si­ble de juger de leur respect dans la vie quo­ti­di­enne. Il suf­fit d’en par­ler pour don­ner le change. Hélas, pen­dant ce temps les plaisirs cou­tu­miers sont bat­tus en brèche. Or, ce sont eux qui don­nent à chaque pays son genre, sa cul­ture et ses lim­ites.   Cette façon de noy­er trois vian­des, sept gar­ni­tures et une brioche de pain au lait sous un demi-litre de sauce par exem­ple, ou ces maison­nettes de brique ou encore l’é­trange régime de la cour­toisie pop­u­laire qui chez les Anglais alterne avec une pro­fonde vul­gar­ité. Rien de plus jouis­sif que de voir l’homme réel débor­der les dis­cours des planificateurs. 

Changement

Quand on craint le change­ment, c’est qu’il a déjà eu lieu.

Proximité

Pen­dant mes études à l’U­ni­ver­sité de Genève, j’habitais si près du parc des Bas­tions que j’at­tendais de voir le pro­fesseur pass­er devant ma porte. Avant de rejoin­dre la classe de sémi­naire, j’avais encore le temps de me bross­er les dents. A Fri­bourg il y a peu, j’avais vue sur l’am­phithéâtre de Mis­éri­corde, ce qui me per­me­t­tait de quit­ter mon bureau quelques min­utes avant le début du cours. Ce matin, ma cham­bre d’hô­tel donne sur la piste de l’aéro­port de Lon­dres-Southend. J’at­tends l’avion qui va m’emmener à Caen. Pour la troisième fois, je viens de me laiss­er pren­dre par le radar : ses cap­teurs tour­nent dans l’an­gle de ma fenêtre. A con­trario, quand les enfants fréquen­taient la pri­maire, nous habi­tions à 63 kilo­mètres de l’école…

Miniatures

Dans l’avion pour Lon­dres, comme les hôt­esses passent avec le char­i­ot des pro­duits, nos­tal­gie de cette époque où l’on pou­vait acheter aux enfants un avion minia­ture ou un ours en peluche; l’é­ton­nement que je leur sup­po­sais à con­stater que l’on pou­vait acheter à bord d’un avion un ours ou un avion jus­ti­fi­ait large­ment le prix exor­bi­tant que je déboursais.