Diversité fabuleuse de l’Europe. L’avion vous débarque dans le faubourg d’une ville, dans ce cas un endroit de Londres sans intérêt donc inviolé, et l’identité de tout un peuple s’offre au regard. Maisonnettes de brique brune alignées sur des miles. Elles s’arcqueboutent aux giratoires puis reprennent le rang, à moins que l’on choisisse de changer de direction. A l’équerre et dans les angles, formant les branches d’une étoile, commencent d’autres rues toutes pareilles. Il n’y en a pas dix ou cinquante, mais des milliers devant l’horizon, accrochées les unes aux autres comme des wagonnets. Les façades ne comptent pas six mètres jusqu’à la corniche du toit. Les aplats de gazon sont coupés d’allées, les portes munies de heurtoirs. Aucune clôture, les propriétés donnent sur les trottoirs, quant aux voitures, elles sont garées le capot côté entrée, témoignant de la présence des hôtes à leur domicile. Un Anglais arrose, un autre peint, un troisième répand du gravier. Au milieu de cette agglomération, un supermarché bardé d’annonces et un épicier Pakistanais vendeur d’alcools. A un voisin qui décharge une échelle de son véhicule, je demande le pub.
- Justement, j’en viens!
Il m’indique au loin un gosse qui tourne en rond sur son vélo.
- A peu près à cette hauteur.
Le pub fait grill; il donne sur un périphérique qui mène au centre de Londres. Il est entouré d’un Fish &Chips, d’une blanchisserie, d’un kiosque et d’un kepab. Boisé, usé, tout en moquettes et tapisseries, il est meublé de fauteuils et de canapés, façon salon privé. Au comptoir je m’intéresse aux colonnes à bière. Des marques internationales.
- Avez-vous une blonde anglaise?
- Je n’en ai pas la moindre idée, fait la gamine.
Côté restaurant, un placeur guide les clients. Un verre de bitter en main, je cherche où m’installer. Je pénètre dans un boudoir qui a sa cheminée et ses tableaux. Des amis font cercle autour d’une table chargée de boissons. Entre une femme. Les autres l’accueillent avec des rires et des blagues. Elle distribue baisers et poignées de main. Elle s’assure de n’avoir oublié personne, m’aperçoit:
- Je vous embrasse aussi?
Le placeur les appelle, tous se lèvent et se mettent en file indienne. Je reste seul dans le salon. Près des machines à sous, un couple de jeunes ouvriers avec leur bébé. Lui en bleu, le crâne rasé, le cou gros, les épaules taillées telles des enclumes. Elle, tirebouchonnée dans un corset noir aux trous entretenus. La vie est dure. A les observer, cette phrase me vient aussitôt à l’esprit. Ils doivent rencontrer des problèmes naturels qu’ils résolvent de manière naturelle, en se débattant. Mais cela ne suffit pas, d’autres problèmes suivent. Et d’autres encore. Mais nous sommes vendredi, dans un pub: pendant quelques heures, les problèmes n’existent pas. Le placeur vient chercher le couple. Je les rejoins au buffet. Munis d’assiettes blanches, nous défilons devant dix terrines: chou surcuit, patates à l’ail, pois luisants, purée… Auparavant, un coupeur de viande nous a offert de choisir entre la dinde, le porc et le bœuf ou de goûter des trois sortes. Le couple fait quelques pas. Il s’arrête devant la table des sauces. Chacun asperge son plat à la louche. Fabuleuse diversité, disais-je. Si de nos jours l’on insiste tant sur les droits formels, c’est qu’il est à peu près impossible de juger de leur respect dans la vie quotidienne. Il suffit d’en parler pour donner le change. Hélas, pendant ce temps les plaisirs coutumiers sont battus en brèche. Or, ce sont eux qui donnent à chaque pays son genre, sa culture et ses limites. Cette façon de noyer trois viandes, sept garnitures et une brioche de pain au lait sous un demi-litre de sauce par exemple, ou ces maisonnettes de brique ou encore l’étrange régime de la courtoisie populaire qui chez les Anglais alterne avec une profonde vulgarité. Rien de plus jouissif que de voir l’homme réel déborder les discours des planificateurs.