Une gare du sud de la France un jour férié. Il pleut. La salle de café n’est pas chauffée. Deux militaires boivent au comptoir. Dehors, des Arabes. Si l’on excepte les néons et les publicités tournantes, une tristesse de cimetière. Mon billet de train est imprimé sur une page A4. Il est jaune, violet, rouge, il propose un rabais de 25 % sur les “Cookies détente” et le “sandwich Maxi-giant”. Une demi-heure avant l’entrée du train en gare, l’accès au quai est fermé par des barrières souples. Bras croisés, des membres d’une police privée fixent les voyageurs qui font la file. Une hôtesse vise les billets. Le mien n’est pas valable.
- Il fallait monter à la gare précédente.
- J’ai réservé ma place de puis la gare précédente et je prends le train ici.
- C’est ce que je vous dis, c’est interdit.
- Mais j’ai payé pour le trajet complet.
- Je sais, c’est absurde, mais ce sont les règles. Votre billet n’est pas un billet TGV.
Je jette un œil au train qui vient de s’arrêter devant nous: un TGV.
- Oui, c’est le même train, mais vous êtes dans la partie idTGV.
- Si vous le dites… Quoiqu’il en soit, j’ai acheté ce billet sur le site de la SNCF.
- C’est le même site, mais pas le même billet. Vous voulez repayer?
- Qu’est-ce que je peux faire… d’autre?
- Rien! Je vous signale au responsable du train.
A bord, je prends place à côté d’un homme qui lit Murakami. Ses cheveux blancs sentent le pastis. Le convoi démarre. Faubourgs délabrés, villes entassées dans des vallons, maisons de plâtre et de carton enduit. Paysages de la vie industrielle, misérable, finissante. Il faut attendre cent kilomètre pour que le vert des pâturages mette du baume à l’esprit. Un peu de cette France qui n’a pas encore été détruite, avec ses vaches, ses fermes de pierre, son clocher central. Survient le contrôleur. A l’entrée du wagon, il appelle:
- Alexandre!
Il tape sur une machine à touches, indique la somme, prend ma carte de crédit, me rend une quittance. Le voisin qui sent le pastis lit Le canard enchaîné. Il s’excuse, se rend au restaurant, revient avec une bouteille d’eau. Il remplit le fond d’un verre de plastique, attrape la bouteille qu’il a coincé derrière l’accoudoir, brise le scellé, prépare un mélange. C’était donc ça l’odeur, de la Vodka. Nous roulons pendant trois heures. Il lit et boit l’entier de la bouteille pendant ce temps. Quand le TGV surplombe la Seine à la hauteur de Rueil-Malmaison, il avale les dernières gouttes. Il lit toujours Murakami et Le canard enchaîné. Peu après, le train s’arrête.
- Mesdames et messieurs, notre train est arrêté en pleine voie suite au caillassage des wagons de tête. Nous attendons la police.
Mon voisin compose un numéro sur son portable et parle à son interlocuteur dans une langue étrange: De l’Arménien, du Géorgien, du Roumain? Puis il prononce le mot “cailloux” en français et il éclate de rire. Quand il raccroche, il se tourne vers moi.
- Incroyable! Police, ça ne sert à rien!
Le TGV entre en gare de Lyon avec une heure de retard. L’homme se lève, ouvre sa mallette, s’asperge de parfum Givenchy, se recoiffe et sort. Il porte une grande croix chrétienne sur la poitrine.