Hôtel de Ville

Ce matin je prends le métro pour Hôtel de Ville. Sous mes yeux, cette rue en impasse où j’ai décou­vert un soir d’avril que Lydia était naïve. Je la fixe désolé. Toute envie de la con­quérir vient de s’é­vanouir. Or, je ne songe qu’à cela depuis l’hiv­er. Elle con­tin­ue de ramen­er ses cheveux blonds, de par­ler; elle est légère, blonde, désir­able. Mais cer­taines opin­ions vous démolis­sent. Dans l’après-midi déjà, se mêlant de la con­ver­sa­tion, elle s’é­tait exprimée au moyen d’une phrase ter­ri­ble. L’une de ces phras­es que les jour­nal­istes fab­riquent à la maniv­elle pour per­me­t­tre aux gens sans idée d’éviter de per­dre la face. Dans les milieux frustes, ces phras­es ser­vent d’ar­gu­ment d’au­torité. Juste après, on renoue avec l’essen­tiel: la télévi­sion, le fut­bol, la famille. Ailleurs, dans les milieux où l’on aime réfléchir, ces phras­es sont réd­hibitoires. Je me suis retourné. Lydia plaisan­tait peut-être? J’ai scruté son vis­age. Cette peau blanche, ces yeux bleus, cette inquié­tude inouïe dans les traits. Mais il n’y avait pas moyen, elle avait par­lé sérieuse­ment, elle avait sérieuse­ment exprimé dans la langue de bois des imbé­ciles ce qu’elle con­sid­érait comme une con­vic­tion. J’é­tais aba­sour­di parce que, depuis que je l’avais ren­con­trée, jamais elle ne s’é­tait trahie. J’es­sayais de remon­ter le fil de nos con­ver­sa­tions, de savoir si faute d’oc­ca­sion, faute d’avoir à tranch­er dans un débat que nous auri­ons pu avoir, elle avait réus­si à don­ner le change et puis le soir, dans cette rue, cela s’é­tait repro­duit. Alors, tout en con­tin­u­ant d’ad­mir­er sa beauté, tout en la désir­ant, je vis que c’é­tait impos­si­ble, qu’elle était per­due. Si je lui téléphonais le lende­main, c’é­tait pour me con­va­in­cre que j’avais tort, qu’il y avait un remède, que je m’é­tais trompé. Ou parce que j’e­spérais que nous pour­rions couch­er ensem­ble avant que cette naïveté ne l’en­laidisse, ne la sub­merge, ne me l’en­lève. Il n’y eut pas de ren­dez-vous. L’af­faire s’ar­rê­ta là et je ne la rap­pelais pas, car désor­mais, chaque fois que je pen­sais à elle, j’en­tendais cette phrase et je voy­ais qui elle était.